lundi 12 décembre 2016

Parades nuptiales



On retrouve dans la Nature de nombreux mouvements instinctifs, comme le comportement agressif des mâles durant la période de reproduction chez certaines espèces, ou encore la danse communicatrice des abeilles (voir La danse odorante des abeilles).

Ne nécessitant aucun apprentissage ou coaching d’un congénère (1), ces comportements innés ont été mis en lumière par le biologiste et éthologue autrichien Konrad Lorenz (1903-1989) (2) qui, en étudiant le comportement des animaux sauvages et domestiques, les a nommés action fixe ou schème d’action spécifique, soit une séquence comportementale instinctive indivisible qui se produit jusqu’à son achèvement. Pour ainsi dire « câblés », ces rites surgissent pour la plupart en réponse à une stimulation sensorielle externe.

L’un de ces étonnants mouvements instinctifs est la parade nuptiale, un comportement exhibé par un animal dans le but d’attirer un partenaire sexuel. D’emblée, le paon déployant son éblouissant et captivant plumage nous vient à l’esprit. Or, ils sont nombreux à pratiquer ces danses d’accouplement, plus inusitées les unes que les autres, tant chez les insectes, les oiseaux, les poissons, les mammifères marins que terrestres, étant généralement déclenchées par un stimulus clair, la présence de la femelle (3) (voir aussi Les phéromones ou la chimie des peaux).

Chez l’humain, on retrouverait des comportements semblables dans le jeu de la séduction. Certains chercheurs comparent même la femme jouant avec une mèche de ses cheveux en présence d’un homme à une forme de parade nuptiale (voir aussi Cheveux, poils et pilosité politique). Chez les animaux cependant, ce sont habituellement les mâles qui exécutent mille et une prouesses afin d’impressionner la femelle et obtenir son approbation.

Largement étudié par l’anthropologue américaine Dr. Helen Fisher, les comportements de séduction chez les humains stimulent la sécrétion de dopamine, un neurotransmetteur fondamental aux comportements servant à la survie de l’espèce comme manger et se reproduire par exemples (voir aussi Plaisir et dopamine). 

Au final, danser l’amour permet non seulement à l’espèce de survivre, mais à l’individu de mieux vivre.

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(1) Certains animaux, comme les choucas par exemple, n’ont pas une connaissance innée de leurs prédateurs et doivent apprendre à les reconnaître en observant les individus plus âgés, et donc expérimentés, de leur groupe (Lorenz, 1969).

(2) Prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973, partagé avec Karl von Frisch et Nikolaas Tinbergen, Konrad Lorenz s’est entre autres intéressé à l’instinct, à l’empreinte ainsi qu’à l’agressivité, concepts ayant eu une portée significative en psychologie, les études portant sur l’attachement notamment. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont L'Agression, une histoire naturelle du mal (1969, 2010) aux éditions Flammarion. 

(3) On peut observer diverses danses de l’amour dans le coloré documentaire « Les Animaux amoureux » (2007) de Laurent Charbonnier.

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Chronique d'un corps prend définitivement congé. N'hésitez pas à consulter les archives du blogue...

lundi 5 décembre 2016

Let’s get physical, let’s get animal

C’était en 1981, glorieuse époque du disco, des walkmans et des léotards aux couleurs flamboyantes, avec jambières et bandeaux assortis. Oui madame. Dans sa "provocante" vidéo de danse aérobique, entourée de messieurs bedonnants se métamorphosant en hommes musclés grâce à quelques flexions corporelles bien choisies mais peu senties, Olivia Newton-John chantait alors « Physical » : 


Let's get physical, physical
I wanna get physical
Let's get into physical
Let me hear your body talk, your body talk
Let me hear your body talk

Let's get animal, animal
I wanna get animal
Let's get into animal
Let me hear your body talk
Let me hear your body talk 


Depuis belle lurette - bien avant Olivia -, un corps qui s’exprime, ce corps qui « parle », est vu forcément animal, bestial, et donc sexuel. On l’associe d’emblée à la bête dormante en nous, avec ses bas instincts, ses pulsions irrépressibles et ses désirs intarissables (voir aussi Animal social et publicité et Reprendre du poil de la bête). 

De même, un corps à l’entraînement évoque lui aussi un être sexué. Dans son cas, c’est la hausse de la température corporelle qui en est la grande responsable, provoquant un corps incandescent, brûlant de désir, un corps en sueur évoquant un être « en chaleur » (à ce propos, consultez La chaleur corporelle).

Nous sommes des animaux, certes, des primates plus exactement, mais le corps physique, lui, n’est pas plus animal que l’âme ou l’esprit humain. C’est plutôt à l’ombre humaine qu'il faut imputer son empreinte, son influence, projetée par l’inconscient.

Alors que le corps est notre temple, « où que nous soyons, indéniablement, l’ombre qui trotte derrière nous marche à quatre pattes* ».


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*Clarissa Pinkola Estes, dans Femmes qui courent avec les loups (1996).

lundi 28 novembre 2016

Le toucher vital

On peut vivre aveugle, sourd ou même anosmique (perte de l’odorat), mais le sens du toucher, lui, est essentiel à la vie.

Le plus fondamental des systèmes sensoriels, le sens du toucher est le premier à faire son apparition durant le développement fœtal, celui-ci étant étroitement lié avec celui de la peau, l’organe le plus étendu du corps humain et sa délimitation (voir aussi Muer ou changer de peau ou encore Piloérection et horripilation). 

Alors que la peau convoie distinctes informations tactiles, le sens du toucher, lui, apparaît essentiel à la vie et au développement de l’être humain, une découverte mise en évidence dans les années 70 par les recherches, parfois déchirantes, sur l’attachement du psychologue américain Harry Harlow.

Celles-ci démontrèrent en effet que le toucher favorise non seulement le développement d’un attachement sain et sécurisant envers la mère, mais est essentiel à la santé mentale et à la survie des individus, surpassant les besoins d’être nourri, conforté et en sécurité. 

Intimement lié au rapport avec autrui, aux relations interpersonnelles ainsi qu’à l’espace personnel, le toucher incarne également ce point de contact avec l’autre. Il est le signe d’un rapprochement, souhaitable ou non, d’une certaine intimité, voire familiarité (concernant l’espace personnel, vous pouvez également consulter Être dans sa bulle). 

Pour cette raison, le contact physique est interdit avec certaines personnes influentes ou dignitaires, comme la reine d’Angleterre par exemple. 

Car en apparence, certaines personnes sont tout simplement intouchables.

lundi 21 novembre 2016

Révolutions et lents mouvements d’évolution

On se représente généralement une révolution comme un mouvement collectif brusque et même violent. C’est d'ailleurs une des définitions du terme, une « transformation soudaine et radicale ». Pourtant, lorsqu’il s’agit d’idées révolutionnaires, il en est tout autrement. 


1905, une année révolutionnaire 

Mille neuf cent cinq est considéré par plusieurs l’annus mirabilis d’Albert Einstein (1879-1955). Alors à peine âgé de 26 ans, jugé plutôt piètre élève par plusieurs de ses professeurs, le grand physicien d’origine allemande publia cette année-là quatre articles scientifiques majeurs, dont l’un contenant la fameuse formule E=mc2, un autre présentant les fondements de la théorie de la relativité, et puis un autre encore, portant sur la nature corpusculaire de la lumière, pour lequel il reçut un Prix Nobel. 

Année fructueuse donc, et pourtant ces travaux furent publiés dans l’indifférence la plus complète, ne provoquant invraisemblablement aucune onde de choc, alors que le principal intéressé travaille alors comme commis à l’Office des Brevets de Berne. 

Quatre années s'écoulèrent - un espace-temps relatif, mais tout de même long - avant qu’un renommé physicien de l’époque, nul autre que Max Planck, vienne souligner l’intérêt particulier des théories d’Einstein et sa vision révolutionnaire. Quant au prix Nobel de physique, il lui a été décerné en 1921, soit seize ans après la parution de sa théorie. Einstein avait alors 42 ans. 

Bref, les idées résolument révolutionnaires ne provoquent pas forcément de révolution. Bien au contraire.


Temps, mouvement et effort 

Les idées révolutionnaires exigent du temps, beaucoup même, avant d’être reçues, débattues, démontrées, approuvées par les uns, dénigrées par les autres, pour ensuite être prouvées de manière irréfutable, hors de tout doute raisonnable, avant de rejoindre le discours académique et la culture générale.

La vérification des théories d’Einstein à propos de la relativité générale, entre autres exemples, exigeait non seulement une éclipse de soleil, mais des conditions météorologiques favorables afin que les astronomes puissent photographier le mouvement des étoiles autour du soleil et ainsi mesurer l’infime déviation de leur trajectoire. De nombreuses complications, tant techniques, climatiques que géo-politiques venant perturber la périlleuse expédition, cette expérience exigea près de quinze ans, sans parler de l’arrestation d’un des chercheurs. 

De même, l’existence du boson de Higgs a mis plus de cinquante ans avant d’être confirmée. Et la théorie de l’évolution elle-même, présentée conjointement par Darwin et Wallace en 1858, sans doute l’une des idées les plus révolutionnaires des derniers siècles, continue de faire l’objet de découvertes qui démontrent « le caractère graduel et cumulatif de la sélection naturelle » (1). 

Contrastant et s’affrontant inévitablement aux idées et aux croyances d’une époque, les idées révolutionnaires apparaissent toujours, du moins à première vue, invraisemblables, à la limite farfelues, irréelles ou même grotesques, puisque incompréhensibles. De telles idées choquent, c’est le moins qu’on puisse dire. Galilée a été condamné pour avoir proclamé que la Terre tournait autour du Soleil, contrairement à la croyance de l’époque. Darwin, quant à lui, a causé l’hérésie au sein de la société anglaise, et à travers le monde, en levant le voile sur cette incroyable révolution corporelle s’étendant sur plus de quatre milliards d’années (voir aussi Darwin – force et adaptation ou La bipédie, une marche révolutionnaire). 

Foncièrement nouvelle et marginale, l’idée révolutionnaire est non seulement dérangeante mais menaçante, exigeant indubitablement une forme d’émancipation. Elle demande de se libérer d’une contrainte (morale, sociale, intellectuelle, politique ou autre), de s’affranchir d’une autorité (celle de l’Église par exemple), ou encore d’une vieille mentalité désuète et démodée, néanmoins incrustée dans les mœurs rassurantes de la société. 

Or le changement est ardu. Tout comme les révolutions d’ailleurs, il exige un effort individuel et collectif incommensurable (voir Effort et habitude ou encore Muer ou changer de peau). 

Le vote des femmes apparaissait une idée révolutionnaire aux États-Unis en 1850. Pourtant, il n’a été légalisé qu’en 1920. Est-ce qu’on peut appeler ça une révolution? Soixante-dix ans de négociations et des centaines de femmes emprisonnées pour avoir manifesté pour leur droit le plus fondamental à la démocratie? 

Ça ressemble plutôt à un lent, très lent mouvement d’évolution.

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(1) Dawkins, R. (2008). Il était une fois nos ancêtres : une histoire de l'évolution. Paris: Hachette, p.535.


lundi 14 novembre 2016

L’équilibre n’est pas dans les pieds

Plusieurs prétendent ne pas avoir d’équilibre « dans les pieds ». Alors que le problème réside plus souvent qu’autrement dans la posture et l’alignement du corps, en particulier la position du bassin, l’équilibre, lui, se trouve plutôt dans l’oreille interne.

Siège de l’ouïe, l’oreille est un organe à la fois externe et interne, se divisant en trois parties : l’oreille externe, l’oreille moyenne et l’oreille interne. Alors que chacune d’elles est impliquée dans le traitement du son, l’oreille interne, pour sa part, abrite également un système vestibulaire servant à l’équilibre.

Constitué de petites structures similaires à des anneaux, les canaux semi-circulaires, le système vestibulaire est tapissé de cellules ciliées dont le mouvement, activé par le liquide interne appelé endolymphe, est capté par les cellules réceptrices qui envoient alors un signal au système nerveux. 

C’est ce même système d’équilibrioception qui est responsable des étourdissements provoqués par un changement soudain de position du corps, comme lorsqu’on saute trop rapidement du lit, par exemple. En réalité, ce sont les mouvements de la tête et son orientation qui permettent de détecter sa position. 

En plus du système vestibulaire, le sens de l’équilibre fait également appel à d’autres sensations comme le sens de la vision et la proprioception, soit le déplacement du corps dans l’espace-temps (voir aussi Le 6ième sens, une question de perception).


lundi 7 novembre 2016

Le corps figé par la peur

Des femmes violentées. Elles sont nombreuses, trop nombreuses même depuis quelques temps, mais au moins elles sortent de l’ombre, prennent la parole et dénoncent leur agresseur. C’est ça qui importe. Leur terrible expérience et leur courageux témoignage doivent servir : le corps fige lors de l’agression. C’est l’émotion de la peur qui s’empare aussi de leur corps. 


Agression sexuelle, le choc des mentalités

Suite à des révélations d’agression physique, psychologique et sexuelle, le public et les proches jugent généralement, et paradoxalement, beaucoup plus sévèrement la victime que l’agresseur, qui, lui, a pourtant enfreint la loi et la dignité humaine. Certains ont du mal à comprendre la réaction des victimes qui ont choisi de se taire plutôt que de dénoncer sur-le-champ, alors qu’elles tentaient de se libérer d’une lourde honte, laquelle, au fond, ne leur appartient pas.

D’autres, étrangement, cherchent plutôt dans leur comportement, leur passé sexuel ou encore leur tenue vestimentaire, l’élément déclencheur qui leur imputerait une part de responsabilité, qui justifierait un tel acte.

Et qu’est-ce que tout cela a à voir avec la notion de consentement? 

Plusieurs semblent l’oublier, ou l’ignorent tout simplement, les abuseurs possèdent dans leur arsenal l’arme la plus puissante qui soit, le contrôle de l’autre par la peur. 

Oui, la peur. 

Celle qu’on utilise pour manipuler des enfants, des femmes, des hommes et des sociétés entières, afin que l’agresseur (un violeur ou un état impérialiste, par exemples) puisse contrôler sa proie (un individu ou un pays entier) afin de commettre un sale acte souvent illégal, immoral et inhumain, et convaincre tout le monde par surcroît du bien fondé de ses actions.

C’est cette même psychologie de la peur qui a servi de cadre social et d’étau psychologique aux Nazis : « Bien entendu, le peuple ne veut pas de guerre. Le peuple peut toujours être converti à la cause des dirigeants. Cela est facile. Tout ce qu'il suffit de faire, c'est de leur dire qu'ils sont attaqués et dénoncer les pacifistes pour leur manque de patriotisme qui expose le pays au danger. Cela marche de la même manière dans tous les pays » (1). 

Pays ou individu, la stratégie est la même : faire planer la possibilité d’une conséquence grave, d’un danger imminent, induire la peur par la menace, la violence, les agressions afin de dominer l’autre et, somme toute, le neutraliser.


L’émotion de la peur 

La peur est une puissante émotion primaire profondément et fermement enfouie dans notre passé primitif qui s’accompagne d’une violente et saisissante réaction physique automatique, le figement.

« Parce que j’ai figé, que j’ai eu peur, que j'ai cédé », relate l’une d’entre elle (2). 

Combien de femmes ont figé face à leur agresseur, plus souvent qu’autrement un homme qu’elle connaissait pourtant bien, un collègue de travail, quelqu’un qu’elle côtoyait régulièrement - et non pas le bonhomme sept heure surgissant des buissons -, puisque c’est là la réaction fondamentale de l’organisme humain sous l’emprise de la peur. 

La peur et l’incompréhension. Deux ingrédients implosifs provoquant une réaction en chaine psychomotrice brusque, soudaine et incontrôlable, la paralysie momentanée (voir aussi Freeze! Le figement et La peur au ventre). 

Viennent ensuite l’état de choc et ses états intermédiaires qui, en apparence, ne semblent pas servir la victime, mais jouent précisément ce rôle; absorber le coup du traumatisme et les trop fortes émotions qui en émergent (voir Choc et état second). 

Et malgré tout cela, malgré l’horreur de l’agression, le traumatisme à la fois physique et psychologique subi, la violence des propos de l’entourage – combien d’entre elles ont été accusées de mentir ou de détruire la vie de l’agresseur en le dénonçant? -, on exige de ces femmes qu’elles crient haut et fort leur indignation, qu’elles dénoncent sous le coup et sur-le-champ, en plus de prouver leur innocence. 

Alors que ces femmes sont meurtries, pansant leurs blessures en silence et bien souvent en solitaire, elles devraient en plus se lever et aller à la guerre, une guerre sociale et juridique sous la huée et le mépris de nombreux spectateurs assoiffés de détails tordus et d’émotions fortes. 

Et quoi encore? 

Ah oui, retourner « à la normal » le plus rapidement possible, travailler, tenir maison, élever les enfants, être une superwoman, le corps hanté par le souvenir de la peur.


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(1) Le Nazi Marshall Hermann Goerin durant le procès Nuremberg. Tiré du film Hijacking Catastrophe – 9/11, Fear & The Selling of American Empire réalisé par Sut Jhally and Jeremy Earp en 2004. 

(2) Tiré du témoignage d’Alice Paquet dans « Elle a pas l’air d’une fille qui s’est fait violer ». 


lundi 31 octobre 2016

Rire et sourire


Le visage du sourire

Dans son ouvrage de 1948, Le sourire – psychologie et physiologie, le médecin et psychologue français Georges Dumas (1866-1946) décrit, outre les pathologies du sourire, tous les nerfs et muscles faciaux qui sous-tendent les mouvements du sourire (1).

Selon l'auteur, le sourire est un « rire atténué, un rire qui s’arrête en commençant » (2) qui sollicite tous les traits du visage : « Ce n’est pas seulement la bouche qui sourit mais les joues, le nez, les paupières, les yeux, le front, les oreilles, et si l’on veut bien comprendre la nature et la signification du sourire, il importe de ne négliger aucune des parties du visage par lesquelles il s’exprime » (3).

Le sourire est défini comme une « expression rieuse marquée par un mouvement ascendant des coins de la bouche et un plissement des yeux » (4). Mais le vrai sourire, lui, l’authentique, implique non seulement les yeux mais le regard. Un regard brillant, scintillant, rempli de sympathie, de complicité, de reconnaissance de l’autre.


Le rire bénéfique et maléfique

Le rire, pour sa part, est « l’action d’exprimer la gaieté par l’élargissement de l’ouverture de la bouche, accompagné d’expirations saccadées plus ou moins bruyantes » (4). En plus d’être instinctif, le rire est un acte communicatif, voire, similairement au bâillement, contagieux (voir Bâiller).

De nombreux chercheurs, philosophes, psychologues et médecins se sont évidemment intéressés aux fonctions physiques, morales et thérapeutiques du rire, comme Darwin (dans « L’expression des émotions chez l’homme et les animaux ») ou encore Dr. Hunter « Patch » Adams, qui a inspiré le film « Docteur Patch» (1998) incarné par Robin Williams.

Les bienfaits du rire sont nombreux. En plus de détourner l’attention de la douleur, il réduit le stress et les tensions musculaires, augmente les défenses immunitaires et stimule la libération de nombreuses neurohormones dont les endorphines, hormones du bien-être aux propriétés analgésiques, et la dopamine qui stimule le circuit du plaisir et de la récompense (voir aussi Martha Graham et les endorphines et Plaisir et dopamine).

Conséquemment, il n’y a pas que les humoristes qui pullulent au Québec, les méthodes thérapeutiques par le rire se multiplient partout dans le monde. Toutes sortes de « rigolothérapies » et de « rigologues » ont vu le jour au cours des dernières décennies. Il existe des pratiques de yoga du rire, des clubs de rire et même des écoles internationales du rire.

Mais le rire n’a pas toujours eu la cote, notamment dans la religion catholique. Au Moyen-Âge, les chrétiens considéraient le rire comme un phénomène diabolique, un plaisir charnel somme toute, et donc péché, car ce qui émane du corps trouve nécessairement son origine dans le Mal (à ce propos, consultez La chaleur corporelle). 

Outre sa vertu thérapeutique, le rire, tout comme la démarche d’ailleurs, en dit également long sur la personne, levant le voile sur la personnalité, en faisant résonner l’essence (voir aussi Marche et démarche). 

Dans certains contextes, le rire est associé à la folie, mettant en lumière la pathologie de l’être déséquilibré qui, riant seul, entretient une conversation avec des voix imaginaires et des hallucinations. L’exclamation sonore devient alors l’expression d’un insensé. C’est ce même rire déplacé, voire menaçant, de l’assassin qui, dans les films d’horreur, donne froid dans le dos (voir Piloérection et horripilation).

Cette soudaine proximité entre le rire et la peur s’explique du fait que le rire est également le revers du cri.


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(1) Dumas, G. (1948). Le sourire – psychologie et physiologie. Paris: PUF. 
(2) ibid., p.10.
(3) ibid., p.11.
(4) Définition du dictionnaire.

lundi 24 octobre 2016

Danse-thérapie – notes de parcours

Elles sont une dizaine réunie dans la grande salle de détente d’un organisme montréalais venant en aide aux femmes. Toutes d’âge et de formes différents, au passé et aux motivations tout aussi uniques, ces femmes viennent pour les séances de danse-thérapie. Leur but? L’une souhaite expérimenter le mouvement, l'autre apprendre à habiter son corps, une autre retrouver ce corps perdu durant l’enfance. Rien de moins.

Quant à Jacqueline [pseudonyme], une femme gracieuse d’un certain âge (pour ne pas dire d’un âge certain), personne ne connaît vraiment le motif de sa présence. Une simple sortie durant la semaine? Une activité lui donnant l’opportunité de rencontrer d’autres femmes? Qui sait. Jacqueline ne parle pas, ou du moins très rarement. Mais Jacqueline danse.

Malgré des mouvements écourtés par le passage du temps, Jacqueline danse les yeux fermés, se laissant insoucieusement porter par la musique. Par moments, elle semble même avoir une conversation avec quelqu’un, - ou est-ce avec elle-même? Elle apparaît chaque fois si différente, comme si elle avait quitté cette salle grisâtre et maintenant suffocante pour basculer dans une autre tranche de l'espace-temps. Son corps est impliqué, ses gestes fluides. 

Les semaines passent, et à chaque séance, Jacqueline danse passionnément, s'investit corps et âme dans la musique, et repart en silence. Ce n’est qu’après plusieurs rencontres que Jacqueline se confie au groupe. Elle souffre d’arthrite. La douleur est pour elle une visiteuse quotidienne. « Mais quand je danse, nous avoue-t-elle souriante, je ne souffre plus. Quand je danse, je n’ai plus mal ».

C’est pour ça qu’elle est là. Nous aussi, disons. 

Manon, elle, a les bras rigides collés le long de son corps. Ses épaules sont tendues, légèrement relevées, les aisselles scellant ses bras à son thorax. La tension est palpable. La peur d’être approchée, d’être touchée, se dégage incontestablement de sa posture. 

Manon a connu l’inceste. Elle ne peut pas « se laisser aller », dit-t-elle. Elle pleure tant l’idée l’effraie. « Mon corps ne m’appartenait plus », lance-t-elle douloureusement au groupe. « Honore tes résistances », lui envoie spontanément une autre participante pour la soutenir. 

Honorer ses résistances. Aller là où l’on peut, doucement, à petites doses, à petits pas. Faire confiance à l'élan spontané tout comme à ce figement qui retient. Faire confiance au processus et au corps, ce puissant instrument d’expression. Il sait ce qu’il a à dire. 

Refuser de danser est aussi une forme d’expression. Un choix le sous-tend. C’est l’avantage d’être une adulte maintenant, la possibilité de refuser, de s’asseoir quand on nous invite à danser, bref, de ne plus subir quoi que ce soit. Ne pas se faire violence. 

Manon a le droit de dire non. 

C’est aussi ça la danse-thérapie, un geste pour soi, un mouvement vers soi.


lundi 17 octobre 2016

Le corps ne ment jamais

« Le mouvement ne ment jamais » affirmait la danseuse et chorégraphe américaine Martha Graham (voir aussi Martha Graham et les endorphines).

Le corps non plus.

On peut essayer de demeurer impassible, afficher un Poker Face ou même rester de glace, mais les émotions sont généralement accompagnées de réactions physiologiques qui trahissent leur présence. C’est là tout le moins le principe sur lequel repose le détecteur de mensonge.

Mentir engendre un stress, une tension interne qui se manifeste par des variations physiologiques mesurables comme la fréquence cardiaque, la pression artérielle, la température corporelle, la transpiration et, conséquemment, la conductance cutanée, signaux corporels captés par le polygraphe auquel la personne est connectée durant son interrogatoire.

Loin d’être une science établie et reconnue, cette technique d’interrogatoire utilisée dans différents contextes d’enquête demeure controversée, et même fortement critiquée, en raison de sa piètre fiabilité. Alors que certains individus activeraient le polygraphe par leur nervosité, d’autres parviendraient à déjouer l’appareil en contrôlant leur humeur, leurs émotions et donc leurs réactions, la clé du succès étant l’état de calme absolu (voir aussi La nervosité et l’axe de stress).

Notons à cet effet que certains individus considérés sociopathes ou psychopathes ne ressentent pas d’émotions, et donc ne présenteraient aucune réaction physiologique pouvant activer le détecteur de mensonges (voir Mouvoir et s’émouvoir).

Peut-être en est-il ainsi des menteurs chroniques.

Comme le disait si bien George Costanza, personnage de la fameuse série télévisée américaine « Seinfeld » des années 1990 : "It's not a lie if you believe it".


lundi 3 octobre 2016

Cheveux, poils et pilosité politique

On les décolore pour mieux les teindre, on les tresse, les greffe, les coupe, les peigne, les attache, ou bien les laisse en bataille. Certains les exhibent fièrement, d’autres les dissimulent sous un voile opaque. Plus qu’un simple poil à la surface de la peau, les cheveux sont des symboles identitaires forts, porteurs de messages et parfois même de grands changements.

Pour l’homme, la pilosité est d’abord un symbole de force et de virilité, d’où la tonte des cheveux et des poils faciaux lors de l’entrée monastique ou militaire. Par ce rituel de conformité, l’individualité s’estompe pour nourrir la puissance du groupe.

Chez la femme toutefois, outre leur fonction identitaire - on désigne généralement les femmes, tout comme les bières d’ailleurs (1), à leur chevelure (une blonde, une rousse, une brunette, etc.) - les cheveux incarnent la séduction et la sensualité. Dans « La naissance de Vénus », par exemple, œuvre de Sandro Botticelli du 15ième siècle, la déesse de la beauté est représentée avec de longs cheveux blonds animés par le vent dont les pointes, telle une flèche liant les deux régions pileuses, servent également à couvrir son sexe. 

Le lien entre la chevelure et la sexualité féminine incite certaines religions et sociétés à dissimuler les cheveux des femmes mariées, en deuil, si ce n’est pas toutes les femmes d’un pays. En particulier lorsqu’ils sont détachés, et donc libres, les cheveux de la femme apparaissent comme une affirmation immorale, une provocation.

Pour cette raison, raser la tête d’une femme est un acte punitif - on rasait la tête des femmes qui avaient fraternisé avec l’ennemi à la fin de la seconde guerre mondiale, entre autres. Servant de châtiment, d’humiliation sur la place publique, la tonte des cheveux a pour but de désexualiser la femme, de lui retirer ses « atouts ». Fait volontairement toutefois, le rasage du crâne devient alors un geste d’insurrection, de contestation, de dénonciation ou encore de sensibilisation.

À l’inverse, c’est la pilosité abondante et hirsute qui symbolise chez l’homme une forme de rébellion. En portant les cheveux longs, les hippies des années 60 s’affichaient contre l’« establishment » et la guerre au Viêtnam. De même, à la fin des années 50, Fidel Castro, en tête de la guérilla et de la révolution cubaine qui allaient chasser Batista et les Américains du pays, arpentait la Sierra Maestra accompagné des Barbudos (les Barbus) qui comprenaient Camilo Cienfuegos, barbu adulé à Cuba, et Ernesto « Che » Guevara, sans doute le révolutionnaire échevelé le plus populaire au monde.

Associée à un haut taux d’hormones mâles comme la testostérone, et donc chargée d’agressivité et de forces combattantes, une pilosité drue devient pour l’homme une arme politique, un symbole de force et de résistance. Cette tendance a toutefois été renversée dans les années 70 par le mouvement punk, le port du Mohawk incarnant la révolte carrément.

Malgré les tabous et le caractère « méchant » associés aux poils faciaux (2), on observe depuis quelques années le retour en force du port de la barbe et de la moustache chez les jeunes hommes de la nouvelle génération. Signe de changement sociétaire? D’une révolution latente émergeante? Ou simplement une mode, un effet du Movembre (3) par exemple? 

Esthétiques, rituels, identitaires ou politiques, les poils du corps incarnent de nombreux rôles sociaux, en plus de jouer leur fonction physiologique d’informateurs tactiles (voir aussi Piloérection et horripilation). 

Hautement sollicités, ils sont à un poil près de s’arracher les cheveux. 

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(1) L’étiquette arborant un personnage féminin à longue crinière, une microbrasserie québécoise a poussé l’association entre la femme et la bière encore plus loin en nommant ses produits « La Matante », « La Chipie », « La Veuve Noire » ou « La Tite’Kriss ». De quoi faire dresser les cheveux sur la tête. 

(2) Dans les films, les bandes dessinées et les dessins animés notamment, les « méchants » portent habituellement la barbe (le bandit Yosemite Sam dans Bugs Bunny), une fine moustache originale (Capitaine Crochet dans Peter Pan ou Jafar dans Aladin) ou bien une pilosité rare ou douteuse mais proéminente (les favoris et les sourcils de Gargamel dans les Schtroumpfs), sans compter tous les personnages de motards, de pirates, de voleurs et d’assassins plus barbus et échevelés les uns que les autres. Afin de contrer ce mythe, des groupes d’hommes à travers le monde, les « Bearded Villains », se sont donné pour mission la loyauté et le respect en participant à des œuvres de charité et des bonnes actions. 

(3) Movembre est un événement qui cherche à sensibiliser la population aux maladies masculines, comme le cancer de la prostate par exemple, en invitant les hommes du monde entier à se laisser pousser la moustache durant tout le mois de novembre - la fusion des mots moustache et novembre donnant Movembre.


lundi 26 septembre 2016

Le nerf vague

Le nerf vague, aussi appelé nerf pneumogastrique (1), est le plus étendu des nerfs crâniens. Sortant de la moelle allongée pour rejoindre les muscles du pharynx, du palais et du larynx, les viscères thoraciques et abdominaux, et innervant plusieurs organes (poumons, cœur, estomac, foie, intestins) grâce à ses foisonnantes ramifications, le nerf vague constitue la plus importante voie de transmission du système nerveux parasympathique.

Principale innervation efférente du cœur, sa stimulation entraîne la sécrétion d’acétylcholine, un neurotransmetteur qui induit un ralentissement de l’activité cardiaque (voir aussi L’écœurement).
 
Or, être témoin de comportements empathiques stimulerait le nerf vague, d’où l’effet apaisant, voire tranquillisant, des gestes de bonté et de compassion. D’ailleurs, il est également sollicité dans l’émergence des émotions. Contrôlant le larynx et donc la phonation, c’est par ce conduit vagal qu’une émotion monte à la gorge et laisse sans voix.

Impliqué dans les fonctions de régulation végétative, comme la déglutition, la respiration, les battements du cœur et la sécrétion d’acide dans l’estomac, le nerf vague véhicule les informations sensorielles des organes internes, incluant les messages de douleur, jusqu’au cerveau.

De fait, il conduit neuf fois plus d’informations des viscères au cerveau qu’il n’en reçoit de celui-ci, signe que les messages provenant des tripes et des entrailles sont fort importants (voir aussi Les deux cerveaux du corps). 

Étant connecté à l’estomac et conduisant les sensations viscérales vers le système nerveux central, le nerf vague joue un rôle dans l’intuition et les pressentiments (voir aussi Intuition féminine ou intuition?). 

Car faut-il le souligner, pressentir, c’est prévoir vaguement.

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(1) Étant double, comme la majorité des nerfs, des organes et de nombreuses structures corporelles, le nerf vague est aussi appelé les nerfs vagues (voir Les deux font la paire).


lundi 19 septembre 2016

Ressentir, le 6ième sens

Goûter, toucher, entendre, voir, sentir… et ressentir. 

On reconnaît depuis belle lurette les phénomènes de la perception et les cinq sens traditionnels (le goût, le toucher, l’ouïe, la vision et l’odorat), principalement parce que leurs organes respectifs (la langue, la peau, les oreilles, les yeux et le nez) sont externes ou tout le moins visibles à l’œil nu (voir L’œil scientifique).

Pourtant, cette notion établie depuis Aristote, et donc plus de 300 ans avant notre ère, est révolue et erronée, car incomplète. Il existe bel et bien d’autres formes de captation sensorielle, tout aussi essentielles au bon fonctionnement de l’organisme humain, mais beaucoup plus subtiles celles-là, comme la proprioception, permettant de s’orienter dans l’espace-temps, de se mouvoir, la thermoception, décelant la chaleur et les changements de température, ou encore le ressenti (voir aussi Le 6ième sens, une question de perception).

En effet, l’être humain est doté d’une perception kinesthésique relevant de propriétés dites somesthésiques, c’est-à-dire de la sensibilité du corps, qui permet, similairement aux requins (1), de détecter les variations présentes dans son environnement tant interne qu’externe. À l’instar du baromètre, le corps agit comme un vibrant instrument de mesure du milieu ambiant, capable de sentir, de ressentir et de traduire ces stimuli afin de les transmettre au système nerveux central sous forme d’influx nerveux. La captation de ces infimes fluctuations constitue le ressenti.

Alors que les mécanismes qui sous-tendent la perception par le ressenti demeurent à être clairement identifiés, ceux-ci apparaissent intimement liés à l’intuition, un savoir intime, intangible et pourtant bien réel, régie par le ventre, plus précisément par les tripes, les viscères et certains nerfs conducteurs comme les nerfs vagues et pelviens. 

On reconnaît en effet l’intestin comme le « deuxième cerveau » du corps humain, produisant 95% de toute la sérotonine présente dans le corps, une neurohormone entre autres impliquée dans les rythmes circadiens et divers troubles mentaux comme la dépression et la schizophrénie. Cette découverte a provoqué un véritable essor dans les domaines de la neuro-gastro-entérologie cherchant une explication à l’importante présence du neurotransmetteur dans les parois intestinales, en plus d’éclaircir les mécanismes autorégulateurs du système nerveux entérique (voir Les deux cerveaux du corps humain). 

Par ailleurs, comme tous les autres sens, le ressenti possède lui aussi son expérience sensorielle optimale, triper (voir Triper, le plaisir viscéral). 

Ressentir constitue notre 6ième sens, et la sensibilité qu’elle exige une forme d’intelligence (voir aussi L’hypersensibilité). 

Il est temps de remettre les pendules à l’heure. 


Nota bene - Pour plus d’informations concernant le ressenti, vous pouvez également consulter l’article de la même auteure Le mouvement des émotions et la climatologie des corps.


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(1) Munis d’ampoules de Lorenzini, les requins peuvent déceler les changements de température ainsi que les variations électromagnétiques présentes dans leur environnement, notamment celles émises par les muscles des créatures vivantes.


lundi 12 septembre 2016

La danse odorante des abeilles

On répertorie des milliers d’espèces d’abeilles différentes. Alors que certaines vivent en solitaire, d’autres, les abeilles sociales, œuvrent en groupe, une colonie laborieuse et démocratique.

Au sein de cette société matriarcale, où trônent une reine et des femelles affairées, chaque abeille a un rôle à jouer. Afin de s’organiser et d’exécuter leurs tâches respectives, les abeilles, pour communiquer entre elles, dansent.

Cette complexe et ô combien captivante communication non-verbale, mise en lumière par l’éthologue d’origine autrichienne Karl von Frisch (1886-1982) (1) démontre toute l’ingéniosité des abeilles et de la Nature.

Que se soit pour partager des informations concernant une source de nourriture (nectar et pollen) ou encore une nouvelle localisation pour la colonie, un mouvement collectif d’émigration appelé essaimage, on distingue deux types de danse, la ronde et la danse frétillante (2), déterminée selon la distance du butin.

Fascinantes, ces danses, dont les composantes contiennent des informations précises quant à la distance, la direction (l’angle par rapport au soleil) et la concentration de sucre ou la qualité du nouvel emplacement - tout cela en tenant compte des détours et du facteur éolien qui ralentissent la progression des abeilles vers leur destination! -, ne sont pas vues par les autres abeilles, mais bien senties et ressenties.

En effet, la ruche étant plongé dans l’obscurité et leur sens de l’odorat hautement aiguisé, c’est grâce à leurs antennes, organes olfactifs des abeilles, que les congénères perçoivent le parfum capturé à la source par la danseuse et conservé dans son jabot. À partir de l’intensité de ses frétillements, de ses vibrations, des sons émis et de l’odeur répandue durant sa prestation, les réceptrices du message, butineuses et éclaireuses, sont alors en mesure de repérer le lieu d’intérêt.

Fait intéressant, dans le cas d’un essaimage, essentiellement le « déménagement » de la colonie avec la reine, chaque éclaireuse ira visiter les sites potentiels avant d’en arriver à un consensus. 

Disons que les êtres humains, dont la survie dépend notamment d’elles (3), ont encore beaucoup à apprendre de la coopération des abeilles.

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(1) Prix Nobel de physiologie ou médecine en 1973, partagé avec Konrad Lorenz et Nikolaas Tinbergen, et auteur de Vie et mœurs des abeilles (1927; Éditions Albin Michel, 2011). 

(2) Visionnez la danse frétillante d'une abeille.

(3) La pollinisation et la fertilisation des fruits et des légumes reposent en grande partie sur les abeilles dont la survie est pourtant menacée depuis quelques décennies en raison des pesticides systémiques utilisés dans la monoculture. La disparition accrue des colonies d’abeilles affecte tous les continents et met en péril l’agriculture, et donc la survie de l’espèce humaine dont 33% de la nourriture serait attribué au travail des abeilles. Pour en savoir davantage sur le sujet, ne manquez pas de visionner des documentaires comme Vanishing of the Bees (2011), Queen of the Sun (2011), ou encore de vous renseigner sur le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles (en anglais CCD – Colony Collapse Disorder).

lundi 20 juin 2016

Mouvoir et s’émouvoir

La qualité de la vie humaine repose grandement sur les capacités à se mouvoir et à s’émouvoir. 

Comme tout organisme vivant, l’humain est un être en mouvement, un animal bipède dans ce cas-ci, qui a besoin de bouger, de se déplacer, d’aller librement vers ce qu’il désire et ce qui l’attend (voir aussi Marche et démarche). 

Or, il en est de même intérieurement. La capacité de s’émouvoir, c’est-à-dire de ressentir des émotions, est elle aussi nécessaire à une vie riche, ponctuée d’expériences, d’événements, et donc de sentiments des plus variés. 

Certains prétendent que le contrôle des émotions est l’ultime voie vers le bonheur. Or, il existe une distinction entre gestion et absence d’émotions. À cet effet, soulignons qu’un psychopathe ne ressent pas d’émotions, d’où son manque total d’empathie envers les autres créatures vivantes.

L’habileté à ressentir les émotions, ces mouvements internes du corps (voir Émotion, mouvement interne du corps) constitue le fondement de la compassion qui, elle, exige une sensibilité. L’apathie, pour sa part, se définit comme une « absence d’émotions », une « incapacité d’être ému ou de réagir » par mollesse, indifférence, résignation ou état pathologique (voir aussi Apathie et états dissociatifs). De fait, sur l’échelle de la sensibilité, l’apathie se situe aux antipodes de l’hypersensibilité, une captation aiguë de son environnement par le 6ième sens qu’est le ressenti (voir L'hypersensibilité). 

Autrement dit, l’apathie est un marécage affectif, un trou noir intérieur sans vie ni mouvement, laissant en surface un être sans affect, en rupture avec ses émotions. Même si cette condition n’est pas visible à l’œil nu, il s’agit bel et bien d’un handicap, d’un important désavantage émotionnel, voire fonctionnel, pour l’humain, limitant l’éventail d’expériences affectives. 

Car être vivant, c’est aussi vibrer d’émotions. Même que les émotions demeurent notre seule protection contre le vide glacial et inanimé de l’apathie. Comme le psychanalyste Carl Gustav Jung (1875-1961) l’a lui-même si bien dit : « Sans émotions, il est impossible de transformer les ténèbres en lumière et l’apathie en mouvement ». 


 - La chronique fera relâche durant la saison estivale. Bon été à tous! -


À propos de l'auteure
Parallèlement à sa formation en danse, Sylvie Marchand a complété des études à l'Université McGill en Neuro-physio-psychologie (B.Sc.), à l'Université Concordia en Thérapies par les arts (M.A.) en plus d'un Certificat en Arts plastiques de l'UQAM. Danseuse, chorégraphe et enseignante, elle fonde en 2003 le Studio Mosaïco, espace dédié à la danse et à l'art-thérapie à Montréal, Québec. Elle développe aujourd'hui la branche de la psychologie somatique, offre des ateliers de danse-thérapie et publie sur Chronique d'un corps.


lundi 6 juin 2016

L’écœurement

Aux antipodes de « triper » (voir Triper, le plaisir viscéral), on retrouve une autre sensation viscérale tout aussi puissante, mais en revanche dévastatrice, l’écœurement. 

Ce phénomène somatique naît d’abord d’un inconfort, sorte de malaise intérieur ressenti comme un nœud dans le ventre qui touche l’estomac et affecte la faim. Même si le besoin physiologique est pourtant présent, le goût, lui, le désir de manger est complètement anéanti (voir aussi Savourer le moment). 

C’est via le nerf vague (1) que le signal viscéral rejoint également le cœur et la gorge, laissant un goût amer dans la bouche. Le cœur devient lourd, la respiration superficielle – le mouvement du diaphragme étant entravé –, et la nausée fait son apparition. 

D’autres symptômes physiques, comme la migraine, des crampes abdominales, des vomissements, des problèmes respiratoires ou digestifs (ballonnements, constipation, diarrhée, etc.), peuvent également survenir. Un sentiment de découragement accompagne le soulèvement du cœur et, à ce stade, l’organisme entier semble paralysé par le profond malaise. 

Si celui-ci persiste et que la situation demeure inchangée, l’écœurement s’installe. Tel un conditionnement pavlovien, le contact avec l’environnement néfaste à lui seul fera réapparaître le mal-être et la nausée. Soutenu par un état de lassitude grandissant, voire dépressif, l’écœurement se transforme rapidement en écœurantite aiguë et l’organisme humain atteint alors un point de non-retour. 

Y a-t-il un remède contre l’écœurement? Évidemment, les solutions possibles sont soit d’éliminer les facteurs nocifs, soit de retirer l’individu de l’environnement malsain et nauséabond, ou soit encore (pourquoi pas tenter le coup) de se blinder complètement contre la situation ou ces déclencheurs. Mais là attention, car le corps lui, immensément intelligent, se souvient, et les réactions, voire les soulèvements du cœur et du corps entier risquent d’être féroces et la révolte virulente. 

C’est là que les fonctions cognitives et rationnelles entrent en jeu et que les trois grands centres intelligents du corps humain, le ventre, le cœur et la tête, doivent s’entendre, s’aligner et prendre la bonne décision (voir L’intelligence du cœur et Les deux cerveaux du corps humain). 

Car si le cœur n’y est plus, mieux vaut ne pas l’écœurer.

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(1) Le nerf vague, comme la majorité des nerfs, des organes et de nombreuses structures corporelles, est double (voir Les deux font la paire). Les plus étendus du corps humain et principale innervation du système nerveux parasympathique, les nerfs vagues innervent entre autres l’estomac, le cœur et le larynx.

lundi 30 mai 2016

Bâiller

Je bâille, tu bâilles, il bâille, nous bâillons, vous bâillez, ils bâillent. Sa simple suggestion déclenche bien souvent ce mouvement involontaire de la mâchoire. Bâiller est contagieux, pourquoi?

Il s’agit là d’une grande question phylogénétique qui demeure toutefois sans réponse. On a longtemps cru que le bâillement était tout simplement un réflexe physiologique présent chez tous les mammifères et, à quelques exceptions près, chez la majorité des vertébrés. De nature échokinésique (1), cette banale contraction musculaire que l’on l’associe au sommeil, à la faim et à l’ennui, accompagnant généralement l’étirement partiel ou complet du corps, serait entre autres déclenché par la vue d’autres bâilleurs.

Or, des études ont démontré que les personnes non-voyantes bâillent elles aussi par imitation, preuve que cette contagion n’est pas induite strictement par un stimulus visuel. Par ailleurs, les personnes schizoïdes et autistes ne bâillent pas en réaction à un autre, suggérant qu’une capacité empathique serait donc en jeu, générée, celle-ci, par les neurones miroirs. Cette hypothèse expliquerait la présence d’autres neurotransmetteurs comme la dopamine et l’ocytocine (voir Plaisir et dopamine et Le cœur et l’attachement).

Même si l’on reconnaît les effets apaisants du bâillement, comme le relâchement des muscles du visage et du corps en général, sa fonction physiologique demeure néanmoins floue. Alors que plusieurs prétendent qu’il servirait à oxygéner le cerveau, d’autres suggèrent plutôt qu’il permet de le refroidir.

À cet égard, soulignons que non seulement les oiseaux, les poissons et les reptiles bâillent eux aussi, mais que le crocodile présente un autre phénomène tout aussi fascinant, celui de demeurer la gueule ouverte des heures durant afin de refroidir son cerveau. C’est peut-être ça, bâiller à s’en décrocher la mâchoire.

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(1) L'échokinésie (ou échopraxie) est la tendance involontaire spontanée à répéter ou à imiter les mouvements d'un autre individu.

lundi 16 mai 2016

Émotion, mouvement interne du corps

Du latin exmovere, ex préfixe pour « extérieur » et movere signifiant « mouvoir » ou « se mouvoir », une émotion est un mouvement interne du corps qui tend naturellement vers son expression. 

D’entrée de jeu, la racine étymologique jette les bases au caractère dynamique et éphémère des émotions - que l’on retrouve également en anglais, issu de la même source, avec le mot "emotion", "motion" voulant dire mouvement.

À lui seul, le mot émotion évoque un élan, une force intérieure pouvant conduire à un geste, une parole, une action ou encore un état, servant à l’exprimer. Car c’est l’expression de l’émotion, verbale ou non, qui assure la complétion de ce mouvement interne du corps. 

Dans ce contexte alors, tout arrêt ou freinage, toute tentative d’interruption de ce micromouvement, comme la rétention ou la contention des émotions par exemples, est non seulement contre-nature mais exige un effort, une énergie équivalente à celle soulevée par l’émotion, appelé effort de contention (1). 

Ce dernier non seulement accapare les ressources de l’organisme humain mais, à la longue, épuise le corps qui montre alors des signes de vulnérabilité, de faiblesse, par l’apparition de symptômes physiques et/ou psychologiques - les deux allant de pair (à ce propos, consultez Le psychosomatique n’est pas dans la tête). 

Une émotion doit donc voir le jour. C’est là le cours naturel de ce mouvement intérieur et, littéralement, sa raison d’être. 

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(1) Inévitablement, la rétention ou la contention d’un mouvement fait naître une deuxième force. C’est là un principe même de la mécanique des mouvements, la troisième loi de Newton ou principe des actions réciproques, qui stipule : « L'action est toujours égale à la réaction; c'est-à-dire que les actions de deux corps l'un sur l'autre sont toujours égales et dans des directions contraires ». Concernant la notion d’effort, vous pouvez également consulter Effort et habitude.

Nota bene - Pour en savoir plus sur les émotions comme mouvements internes du corps, consultez l'article Le mouvement des émotions et la climatologie des corps.


lundi 2 mai 2016

Ravaler ses larmes

Le corps est un puissant outil d’expression. C’est grâce au corps physique que nous parvenons à parler, à gesticuler, à jouer, à danser, bref, à communiquer avec les autres, à partager nos pensées, nos émotions, nos sentiments, et même à raconter des histoires, sublimant ainsi la nôtre.

À un point tel que ce qui n’est pas exprimé demeure dans le corps, les tensions se transformant en symptômes physiques et psychologiques. Dite psycho-corporelle ou psychosomatique, c’est aussi là une forme d’expression (ex-pression) (voir Le psychosomatique n’est pas dans la tête). Somme toute, les accumulations finissent toujours par voir le jour que se soit sous forme de mots, de larmes ou de maux (voir aussi Les trop-pleins intérieurs et Larmes et gamme d’émotions).

Servant d’entraves à cette expression, il existe de nombreux mécanismes de défense comme le déni, le refoulement ou la contention, par exemples. L’un d’eux, un fascinant phénomène somatique observé maintes fois en milieu clinique, consiste à lutter contre l’écoulement naturel des larmes naissantes jusqu’à ce que celles-ci disparaissent complètement. Ravaler ses larmes est un élan du corps avorté, une interruption des réactions naturelles du corps.

Généralement initié par un toussotement, un subtil raclage de la gorge et l’usage, parfois excessif, de la parole, cette résistance fait appel à la rationalisation, aux fonctions cognitives et rationnelles comme les centres du langage notamment, afin de mieux balayer les émotions montantes et étouffer le ressenti. 

Pour plusieurs, ce refus de pleurer est lié à une interdiction parentale, celle de se montrer vulnérable devant les autres. Les « cesse de pleurnicher » ou « vas pleurer dans ta chambre » encouragent non seulement la répression des émotions et l’isolement, mais signalent par surcroît que toute forme d’expression des émotions est répréhensible. Perçues comme des « têtes fortes » ou même des « entêtées », ces personnes tiennent mordicus « à tenir bon » devant les autres, à n’afficher aucune faiblesse, aucun signe de vulnérabilité. Pourtant, si la douleur est humaine, la vulnérabilité l’est tout autant.

lundi 25 avril 2016

Plaisir et dopamine

Certains comportements, comme manger ou se reproduire par exemples, sont nécessaires à la survie de l’espèce. Afin d’assurer leur répétition, le cerveau est muni d’un circuit de la récompense, ou circuit du plaisir, qui agit comme système de gratification. 

Impliquant différentes structures et zones du cerveau dont l’aire tegmentale ventrale (ATV), le noyau accumbens et le cortex préfrontal, qui participe à l’expérience consciente du plaisir, ce circuit libère de la dopamine, un important neurotransmetteur qui procure un sentiment de plaisir et de bien-être. 

Comme vous l’aurez sans doute deviné, c’est ce même système de renforcement qui est impliqué dans les dépendances aux drogues ainsi qu'aux diverses substances addictives, comme le sucre par exemple, envoyant un signal de plaisir, voire d’euphorie, exigeant une quantité toujours plus grande pour obtenir le même effet. 

Il a par ailleurs été démontré qu’écouter une musique qui nous plaît, en plus de solliciter le cortex auditif, stimule le circuit du plaisir libérant ainsi de la dopamine. 

Que se soit via la dopamine, l’adrénaline (Accro à l’adrénaline) ou encore les endorphines (voir Martha Graham et les endorphines), l’être humain cherche fondamentalement à éviter la douleur et le déplaisir en se procurant un « boost » énergétique, une bonne dose de plaisir, et pourquoi pas, un peu des deux. 

Tout cela, évidemment, au nom de la survie de l’individu et de l’espèce. 


lundi 18 avril 2016

La nervosité et l'axe de stress

La nervosité est un état passager d’excitabilité des nerfs qui se traduit par des tremblements des membres, des papillons au ventre et parfois même des nausées, accompagnée d’une respiration superficielle et d’une captation sensorielle réduite. 

Forme de stress, la nervosité, comme le trac par exemple, représente l’ultime démonstration qu’il existe un lien intime entre le psychologique et le physiologique, soit les pensées, les émotions et les embranchements du système nerveux, d’où l’expression être à bout de nerfs

Mais comment la nervosité se manifeste-t-elle?

Les études sur le stress ont démontré qu’il existe bel et bien une route physiologique par laquelle les tensions internes prennent forme, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS), communément appelé l’axe de stress, perturbant ainsi l’homéostasie de l’organisme humain (voir L’équilibre homéostatique). En ce sens, un état de stress est donc une réponse adaptative au changement induit par un facteur de tension. 

De fait, l’axe HHS est une voie majeure du système endocrinien ayant une influence tant sur les systèmes immunitaire et digestif, l’humeur et les émotions, la sexualité que l’entreposage des graisses. Sa stimulation suscite la production de catécholamines, ou hormones de stress, comme l’adrénaline et la noradrénaline par exemples, qui déclenchent une activation physiologique intense dont l’augmentation du rythme cardiaque et de la respiration, la constriction des vaisseaux sanguins dans certaines parties du corps, la dilatation du sang vers les muscles, l’inhibition de la digestion, une perte d’audition et de vision périphérique, etc., permettant ainsi de faire face à la menace ou tout le moins sa perception (voir aussi Accro à l’adrénaline). 

Puisque la communication entre l’hypothalamus et les centres du cerveau traitant les émotions est bidirectionnelle, c’est par cette même voie que les émotions peuvent perturber l’organisme humain, affecter l’immunité, la digestion, les organes, ou encore le précipiter vers des états de perturbation interne prolongée comme l’anxiété notamment.

En revanche, c'est en empruntant ce même axe que les méthodes de relaxation et de visualisation apportent leurs bienfaits au corps humain.


lundi 4 avril 2016

Plein les bras

« Membre supérieur prolongé par la main », les bras servent plusieurs fonctions, du travail à l’affection en passant par l’entraide, le transport et le réconfort. 

Similairement aux mains qui servent à fabriquer et à réaliser (voir Main dans la main), les bras sont eux aussi synonymes d’action, de travail et de main d’œuvre. On dit par exemples manquer de bras ou avoir besoin de bras en parlant des travailleurs. À l’inverse, rester les bras croisés signifie ne rien faire. 

Les bras servent donc à agir, à faire, tout comme à transporter des objets. Ils peuvent accueillir (à bras ouverts), influencer (avoir le bras long), assister (un bras droit) (voir aussi Le côté gauche) ou encore porter un projet (à bout de bras). On les baisse en signe d’abandon ou on les lève bien haut pour implorer le ciel ou les dieux, reconnaissant  dès lors son impuissance. 

Tout comme les mains, les bras se prêtent aussi à l’intimité et aux rapprochements. Ils servent entre autres à danser en couple ou même à tomber dans les bras de l’autre - à moins que ce soient ceux de Morphée (voir Dans les bras de Morphée). On les utilise également comme frontière ou pour mesurer la distance avec l’autre, les bras croisés faisant preuve de fermeture alors que les bras grand ouverts manifestent un accueil chaleureux. 

Les bras servent finalement à aider, à rassurer, à prêter secours et à réconforter. On tend les bras à un ami, lui prêtant par la même occasion une oreille ou bien une épaule sur laquelle pleurer, en somme, on l’embrasse. Car les bras peuvent offrir une accolade, un câlin, une étreinte, soit le baiser des corps. 


lundi 21 mars 2016

Marche et démarche

Certaines personnes titubent lentement, d’autres avancent d’un pied ferme. Il y a ceux qui marchent sur les talons, ceux qui se traînent les pieds, ou encore ceux qui se déplacent le corps incliné vers l’avant en signe d’impatience ou d’ambition. Bref, la démarche en dit souvent long sur la personne. 

L’être humain est un animal bipède (voir La bipédie, une marche révolutionnaire) et la manière de marcher est plus souvent qu’autrement révélatrice, porteuse d’informations sur la personnalité, la façon d’aborder la vie ou encore de porter le passé.

Sorte d’ardoise sur laquelle s’inscrit notre parcours, le corps physique garde en mémoire certains évènements marquants, des plus douloureux aux plus époustouflants. À l’instar de l’arbre portant le nœud d’une blessure ancienne ou encore les contorsions de survie permettant de rejoindre la lumière, le corps présente habituellement des signes, des marqueurs somatiques susceptibles de révéler certains aspects de la personne, de son histoire, comme la posture, l’alignement du corps et de l’axe vertébral, l’enracinement des pieds, la fluidité des mouvements ou encore les traits du visage. 

Il y a la démarche lente et flegmatique, dévoilant parfois le lourd poids du passé ou encore la charge encombrante d’émotions inexprimées. La démarche rapide et empressée, voire agitée, quant à elle, manifeste bien souvent, une agressivité sous-jacente ou encore une colère non-dite, voire indicible, l’agitation se trouvant aux antipodes de l’état dépressif. 

Certaines personnes présentent une rigidité de corps (et parfois même d’esprit), signe d’un mécanisme de défense et de protection bien développé, ancré dans le corps, ayant servi à passer à travers les épreuves du passé ou encore à les éviter, la tension physique, tout comme l’apathie ou l’insensibilité par exemples, servant dans bien des cas à prévenir l’émergence d’émotions (voir aussi Apathie et états dissociatifs). 

Mais à travers toutes ces données somatiques, il faut également distinguer les types de personnalités ou encore les troubles de la personnalité. Les intellectuels, par exemple, qui habitent généralement peu ou partiellement leur corps, utilisent à souhait leur tête et la rationalisation comme moyen d’appréhender le monde, alors que la personnalité narcissique, qui se présente sous diverses formes corporelles, recherche son propre reflet dans le regard de l’autre. 

Évidemment, il y a autant de types de corps et d’explications symboliques qu’il existe d’espèces d’arbres et leur contexte de croissance. Encore faut-il porter attention à ce langage non-verbal dont la démarche est la signature.


lundi 7 mars 2016

Intuition féminine ou intuition?

La femme est-elle dotée d’une intuition, d’un savoir intime dont serait dépourvu l’homme? Essentiellement, la réponse est non. Seulement, la nature féminine possède définitivement un avantage sur l’homme. 

En effet, dès la puberté, la jeune fille est appelée à développer une conscience corporelle, non seulement en raison des changements physiologiques qui opèrent en elle, comme c’est le cas également chez le garçon, mais en particulier avec l’arrivée des menstruations. 

Pour plusieurs femmes, celles-ci font leur apparition mensuelle, de manière régulière ou non, avec leur lot de douleur, d’inconfort ou même d’inquiétudes. Baisse d’énergie, fluctuations de l’humeur, symptômes physiques variés comme les crampes, la migraine ou la nausée par exemples, sans oublier l’organisation (parfois obsessionnelle) du calendrier, la prévision de produits hygiéniques féminins, les choix quant à la contraception et à la conception, puisque, de toute évidence, le cycle menstruel n’est pas sans rappeler aux femmes leur capacité d’enfanter et, par la même occasion, leurs sentiments liés à la maternité. Bref, chargé à la fois physiquement et symboliquement, le cycle menstruel implique un régiment de pensées, d’habitudes et de comportements auquel l’homme n’est pas tenu. 

Mais plus important encore, en matière d’éducation somatique, les femmes apprennent très tôt dans leur développement à reconnaître de subtils signaux corporels comme l’ovulation, les signes prémenstruels, le flux menstruel, les sensations d’écoulement, les douleurs et leur localisation, les variations hormonales, etc. 

De plus, la sexualité féminine étant autant interne qu’externe, la capacité d’atteindre l’orgasme vaginal, cela va sans dire, est une avenue d’apprentissage sans égal chez l’homme qui contribue également au développement d’une conscience corporelle aiguisée. 

À moins d’anomalies ou de traumas corporels importants, les femmes sont initiées à un très jeune âge à porter attention aux repères somatiques, à en faire une lecture claire, en somme, à sentir, à ressentir ainsi qu’à distinguer les différentes sensations en provenance de la région abdominale. 

Or, l’intuition se situe dans le ventre. C’est un « Gut Feeling » comme on l’appelle en anglais, une sensation viscérale à la fois subtile et claire qui se prononce au nom du for intérieur (voir aussi Triper, le plaisir viscéral). Outre les émotions, c’est là un autre mouvement interne du corps humain, un écho de l’âme dans ce cas-ci, que les femmes entendent plus aisément parce qu’elles ont développé cette oreille qui tend au corps.


lundi 29 février 2016

L’émotion cartésienne ou la masculinisation des émotions

Jusqu’à tout récemment dans l’histoire des sciences, les émotions avaient plutôt mauvaise réputation, un sujet tabou ou même sans intérêt d’un point de vue scientifique, du moins jusqu’à ce que des « hommes de science » s’intéressent à leur raison d’être. 

L’émergence de la pensée cartésienne au 17ième siècle et, par le fait même, l’influence de l’Église, portée elle aussi par des hommes, ont eu un impact déterminant sur la recherche, opposant dès lors le corps à l’esprit et la raison aux émotions. Considérées d’emblée « domaine des femmes », les émotions n’avaient nullement leur place dans le milieu scientifique (pas plus que les femmes d’ailleurs) qui relève de la pensée logique et rationnelle imputée à l’homme. 

Similairement aux pulsions du corps qui « emportent » l’esprit au détriment de la raison (voir La chaleur corporelle), les émotions, ces « passions de l’âme », ont longtemps été considérées problématiques, voire dangereuses, car source de pathologies les plus infâmes. C’est le cas tout particulièrement de la colère, marquée au fer rouge de l’irrationalité et péché capital par surcroît. 

Conséquemment, la pensée scientifique a tenu à l’écart tout un champ d’intérêt, pourtant fondamental à l’être humain, jusqu’à l’arrivée de la psychanalyse au début du 20ième siècle avec, entre autres, les phénomènes de conversion et l’hystérie, maladie affectant les femmes évidemment (voir aussi La danse, la folie et les femmes). 

Ce n’est que dans les années 50 que les études sur le stress tendent à démontrer l’importance et surtout le rôle des émotions alors que Hans Selye, père-fondateur du concept, observe que la plus grande source de stress chez l’humain demeurent les émotions. Si le stress affecte l’homme, sa santé et sa performance, et ce dans toutes les sphères de sa vie, il y a donc matière à recherche. Le stress devient dès lors le sujet de l’heure. 

Puis surgit, dans les années 80, la notion d’intelligence émotionnelle, élaborée et popularisée par des hommes - soulignons ici l’utilisation du terme « intelligence » faisant référence à la raison, et rassurant par le fait même le milieu académique. D’ailleurs, on parle également d’intelligence corporelle plutôt que de sensibilité (voir L’hypersensibilité), une notion développée par Howard Gardner, entre autres, avec la théorie des intelligences multiples parue à la même époque. Le milieu scientifique privilégiant le déploiement de facultés, et donc de concepts, mesurables, on parle même de quotient émotionnel. 

Parallèlement, l’essor des technologies permettant de visualiser le cerveau propulse au début du 21ième siècle les recherches portant sur le « cerveau des émotions » - à nouveau, faut-il mentionner le lien direct à la rationalité grâce à l’organe de prédilection de l’homme, après le pénis bien entendu, le cerveau. Bref, un sujet autrefois considéré typiquement « féminin » et « problématique » devient du coup, et à l’inverse, le sujet de l’heure, le « cerveau des émotions » étant aujourd’hui le nouveau créneau à la mode, une matière scientifique « branchée » dans le domaine des sciences cognitives

Or, comme cela a toujours été, les émotions se manifestent dans l’espace du corps. La pensée dualiste étant toujours bien présente, on continue de fragmenter l’organisme humain, de séparer le corps de la raison et la tête du « reste de corps » (voir La tête vs « le reste du corps »), sachant pourtant – c’est un homme qui l’a confirmé (1) - que les émotions sont fondamentales au raisonnement (voir aussi Reprendre du poil de la bête). 

Mais là encore, comme c’est souvent le cas dans les « affaires de femmes », il a fallu que des hommes y voient un intérêt, que l’on masculinise les émotions en somme, pour qu’elles deviennent un sujet d’étude crédible, logique et raisonnable.


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(1) Damasio, A. (2008). L’erreur de Descartes – la raison des émotions. Paris: Odile Jacob.