lundi 29 février 2016

L’émotion cartésienne ou la masculinisation des émotions

Jusqu’à tout récemment dans l’histoire des sciences, les émotions avaient plutôt mauvaise réputation, un sujet tabou ou même sans intérêt d’un point de vue scientifique, du moins jusqu’à ce que des « hommes de science » s’intéressent à leur raison d’être. 

L’émergence de la pensée cartésienne au 17ième siècle et, par le fait même, l’influence de l’Église, portée elle aussi par des hommes, ont eu un impact déterminant sur la recherche, opposant dès lors le corps à l’esprit et la raison aux émotions. Considérées d’emblée « domaine des femmes », les émotions n’avaient nullement leur place dans le milieu scientifique (pas plus que les femmes d’ailleurs) qui relève de la pensée logique et rationnelle imputée à l’homme. 

Similairement aux pulsions du corps qui « emportent » l’esprit au détriment de la raison (voir La chaleur corporelle), les émotions, ces « passions de l’âme », ont longtemps été considérées problématiques, voire dangereuses, car source de pathologies les plus infâmes. C’est le cas tout particulièrement de la colère, marquée au fer rouge de l’irrationalité et péché capital par surcroît. 

Conséquemment, la pensée scientifique a tenu à l’écart tout un champ d’intérêt, pourtant fondamental à l’être humain, jusqu’à l’arrivée de la psychanalyse au début du 20ième siècle avec, entre autres, les phénomènes de conversion et l’hystérie, maladie affectant les femmes évidemment (voir aussi La danse, la folie et les femmes). 

Ce n’est que dans les années 50 que les études sur le stress tendent à démontrer l’importance et surtout le rôle des émotions alors que Hans Selye, père-fondateur du concept, observe que la plus grande source de stress chez l’humain demeurent les émotions. Si le stress affecte l’homme, sa santé et sa performance, et ce dans toutes les sphères de sa vie, il y a donc matière à recherche. Le stress devient dès lors le sujet de l’heure. 

Puis surgit, dans les années 80, la notion d’intelligence émotionnelle, élaborée et popularisée par des hommes - soulignons ici l’utilisation du terme « intelligence » faisant référence à la raison, et rassurant par le fait même le milieu académique. D’ailleurs, on parle également d’intelligence corporelle plutôt que de sensibilité (voir L’hypersensibilité), une notion développée par Howard Gardner, entre autres, avec la théorie des intelligences multiples parue à la même époque. Le milieu scientifique privilégiant le déploiement de facultés, et donc de concepts, mesurables, on parle même de quotient émotionnel. 

Parallèlement, l’essor des technologies permettant de visualiser le cerveau propulse au début du 21ième siècle les recherches portant sur le « cerveau des émotions » - à nouveau, faut-il mentionner le lien direct à la rationalité grâce à l’organe de prédilection de l’homme, après le pénis bien entendu, le cerveau. Bref, un sujet autrefois considéré typiquement « féminin » et « problématique » devient du coup, et à l’inverse, le sujet de l’heure, le « cerveau des émotions » étant aujourd’hui le nouveau créneau à la mode, une matière scientifique « branchée » dans le domaine des sciences cognitives

Or, comme cela a toujours été, les émotions se manifestent dans l’espace du corps. La pensée dualiste étant toujours bien présente, on continue de fragmenter l’organisme humain, de séparer le corps de la raison et la tête du « reste de corps » (voir La tête vs « le reste du corps »), sachant pourtant – c’est un homme qui l’a confirmé (1) - que les émotions sont fondamentales au raisonnement (voir aussi Reprendre du poil de la bête). 

Mais là encore, comme c’est souvent le cas dans les « affaires de femmes », il a fallu que des hommes y voient un intérêt, que l’on masculinise les émotions en somme, pour qu’elles deviennent un sujet d’étude crédible, logique et raisonnable.


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(1) Damasio, A. (2008). L’erreur de Descartes – la raison des émotions. Paris: Odile Jacob. 


lundi 15 février 2016

Le neurone, une cellule étonnante

Cellule fondamentale du système nerveux, le neurone constitue l’unité de base d’un complexe et fascinant réseau qui innerve et unifie tout le corps humain. 

Comme toute cellule du corps, le neurone est pourvu d’un noyau, d’un corps cellulaire et de cytoplasme. Toutefois, il se distingue des autres unités cellulaires, des cellules du cœur ou de la peau par exemples, puisque le neurone a tendance, d’une part, à former des liens avec d’autres cellules nerveuses et développer des réseaux, afin, d’autre part, de transmettre un message sous forme d’influx nerveux. 

Essentiellement, la communication neuronale est un échange d’excitation : « Un neurone ne fait que rapporter à un autre neurone l’intensité de son excitation » (1). C’est grâce à ses terminaisons, les axones et les dendrites, que le neurone transmet et reçoit des informations aux autres cellules nerveuses ou autres types de cellules (musculaires, par exemple). Simplement dit, les axones émettent et les dendrites reçoivent. 

Les multiples dendrites forment une arborisation dendritique, permettant à un neurone d’être connecté à plusieurs autres à la fois et ainsi travailler en réseaux. Ces connexions peuvent d’ailleurs se régénérer (voir Cerveau unique et malléable). 

De plus, la communication neuronale est électro-chimique. Entre deux neurones existe un point de contact appelé synapse, qui est en réalité un espace microscopique permettant l’échange de messagers chimiques, les neurotransmetteurs. Une fois libérés, ceux-ci agissent sur les propriétés d’un neurone en activant ou en inhibant sa fonction. Autrement dit, un neurotransmetteur agit en quelque sorte comme un interrupteur, ayant un effet activateur ou inhibiteur sur les cellules nerveuses. 

Finalement, il est important de souligner que le neurone est soutenu par un imposant groupe de cellules nerveuses, essentielles à son bon fonctionnement, les cellules gliales (à ce propos, consultez Le cerveau d’Einstein - neurone et cellules gliales). 

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(1) Francis Crick (1916-2004) biologiste britannique et chercheur en neurosciences; Prix Nobel de physiologie ou médecine en 1962 pour la découverte de la structure de l’ADN. Dans "The Mind" (2011), John Brockman (ed.).

lundi 1 février 2016

Triper, le plaisir viscéral

Le corps est un instrument vibrant. Il résonne sous l’effet des émotions, des sentiments et des stimulations les plus variées, qu’elles soient sensorielles, sexuelles ou viscérales.

On dit que le corps est pourvu d’un système sensoriel, soit cinq sens servant à interpréter le monde externe et ses informations. Pour plusieurs, le corps est un outil de traitement d’informations. Mais c’est là sous-estimer le corps et ses fonctions, capable d’accomplir ce qu’aucune machine ne peut réussir, ressentir.

Le ressenti est notre 6ième sens (voir aussi Le 6ième sens, une question de perception ou L'hypersensibilité), une fonction méconnue du monde scientifique car difficilement mesurable. Pourtant, il s’agit là d’une fonction corporelle essentielle à l’interprétation des émotions et des sentiments. Sinon, comment faire la distinction entre la joie, la colère ou l’excitation sexuelle qui déclenchent les mêmes réactions physiologiques (augmentation du rythme cardiaque et de la tension artérielle, accélération de la respiration, etc.), ou encore la joie et la tristesse qui empruntent les mêmes circuits cérébraux. C’est grâce au ressenti. 

Or, à son paroxysme, le ressenti peut également donner lieu à une excitation physiologique à part entière, distincte de toute autre stimulation physiologique. À l’instar des papilles gustatives, dont le summum expérientiel équivaut à savourer avec plaisir, il existe une expérience optimale du ressenti, triper (1). 

Retentissant des tripes, des viscères, des entrailles, triper est une expérience somatique distincte, libre de toute stimulation sensorielle, sexuelle ou émotionnelle (2), située dans l’abdomen, dont la fonction première est d’orienter l’individu. Sorte de boussole intérieure, cette sensation viscérale sert à guider l’être humain dans ses choix, ses décisions, ses orientations, ou même à les valider. 

Triper, en somme, est un plaisir corporel unique, une voix du corps servant à signaler qu’on est définitivement sur la bonne voie. 

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(1) Le terme triper provient littéralement des tripes, c’est-à-dire des intestins. À ne pas confondre avec « faire un trip » ou un « bad trip », emprunté à l’anglais, qui implique l’utilisation d’une drogue ou d’une substance hallucinogène. Ici, il ne s’agit pas de voyage mental mais bien d’une expérience somatique, et donc ancrée dans le corps. 

(2) Une émotion comme la joie, par exemple, peut conduire à l’expérience de triper, sans pour autant être nécessaire. À l'inverse, l'expérience de "triper" veut conduire à des émotions ou des sentiments.