La danse et les mouvements du corps sont bien souvent associés à la folie. Dans certains contextes, ils incarnent le
chaos, le désordre, l’agitation dérangeante.
On n’a qu’à penser aux Ménades (1) ou
encore à la danse de Saint-Guy, cette maladie
neurologique, aussi appelée chorée de Sydenham, causée par une infection à streptocoque
affectant les nerfs et provoquant par le fait même des convulsions, soit des
contractions musculaires et des mouvements involontaires du tronc et des
membres.
D’ailleurs, Saint-Guy est non seulement le
saint patron de la danse, du théâtre et des arts de la scène, mais aussi des
épileptiques. Surnommé le « mal sacré » ou « mal de
Saint-Jean » au Moyen-Âge, l’épilepsie a longtemps été considérée une possession
du corps et de l’esprit en raison des mouvements convulsifs provoqués par la
crise elle-même. On appelait alors les personnes atteintes les « danseurs
de Saint-Jean ».
Car plus souvent qu’autrement, un corps en
mouvement évoque un être frénétique, un individu ayant perdu le contrôle de
soi, du corps, et donc de l’esprit. Les mouvements inapprivoisés représentent
cette perte de la raison, le déchaînement de pulsions et de désirs
irrépressibles, ou encore la présence de forces occultes incontrôlables, voire
maléfiques. En ce sens, la danse symbolise cette folie faite de chair et de
sang.
L’hystérie, par exemple, illustre bien ce
rapport fascinant qui existe entre les mouvements du corps et l’irrationalité.
Issu du courant psychanalytique à la fin du 19ième siècle, cet
« excès émotionnel incontrôlable » trouve son origine dans l’Égypte
ancienne. La théorie stipulait en effet que l’utérus en déplacement dans le
corps provoquait des symptômes physiques inexplicables, des infections ou
encore un trouble névrotique réservé aux femmes évidemment - le terme hystérie provenant du mot grec hystera qui signifie utérus ou matrice.
En réalité, toute femme à l’époque qui
affichait une sexualité inassouvie était considérée « hystérique ». L’histoire
nous le montre bien, les femmes ont toujours été considérées
« folles » du moment où elles exhibaient des traits ou des
comportements définis à tort masculins comme la
colère, l’agressivité et la sexualité. Alors vue « dénaturée », la
femme est dite empreinte du « désordre » (2) et donc atteinte d’un
trouble mental quelconque.
De fait, une femme « dérangeante »
est nécessairement « dérangée » (notons que le concept hippocratique
de la « femme dérangeante » a bel et bien existé en médecine antique)
et de suite perçue comme une « hystérique », une
« névrosée », une « furie » (3) victime d’emportement, ayant
perdu la tête, et donc, par extension, la raison. Autrement dit, c’est une « folle
à lier » qu’il faut attacher, ligoter au lit (psychiatrique évidemment)
afin de contraindre les mouvements du corps, et surtout, d’émancipation.
D’ailleurs, dans son essence, la femme est
vue privée du contrôle de soi et des « vertus » de la pensée logique
et raisonnable propre à l’homme. À ce propos, le mot vertu provient du latin virtus, dérivé de vir qui signifie « homme » et qui a donné « viril »
et « virilité ». Le terme virtus
servait à désigner la force morale et la discipline de « l’homme
rationnel » et bien pensant, s’opposant au caractère
« impulsif » et « irrationnel » de la femme.
Un autre mythe qui remonte à la nuit des
temps.
Bonne Journée internationale de la
femme (8 mars).
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(1) Dans l’Antiquité gréco-romaine, les
Ménades (ou Bacchantes chez les Romains) étaient des femmes qui accompagnaient
le cortège dionysiaque pratiquant des danses « furieuses et
délirantes ». Le terme Ménades provient du
mot grec maniais signifiant « esprit
égaré » qui a donné le mot manie que l’on
retrouve en médecine psychiatrique, notamment dans la phase dite maniaque de la bipolarité.
(2) Soulignons qu’en anglais le mot disorder sert à désigner les troubles mentaux.
(3) Furie : « femme emportée et
méchante » (dictionnaire).