lundi 30 mars 2015

Les humeurs, ces « fluides » du corps


Considéré le « père de la médecine », Hippocrate (460-370 av. J.-C.) a été le premier à s’intéresser au rôle du corps humain dans la pathologie, rejetant ainsi les croyances et les superstitions de l’époque qui expliquaient la maladie par la présence de forces surnaturelles ou maléfiques.

L’une de ses théories concernait l’humeur, le terme provenant du latin umor issu du grec umeros signifiant liquide. Selon Hippocrate, la santé du corps et de l’esprit est tributaire d’un équilibre entre les principaux « fluides du corps ».

La théorie des humeurs, ou l’humorisme, expliquait la maladie physique et mentale par un déséquilibre entre les quatre principales « humeurs » qu’abrite le corps humain : le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire. Chacun d’entre eux était associé aux quatre éléments fondamentaux de l’Univers (l’eau, la terre, le feu et l’air) portant eux-mêmes des caractéristiques distinctes. Un tempérament orageux, par exemple, s’expliquait par un excès de bile jaune, et donc un individu enclin à la colère, dit bilieux, alors que la mélancolie, en revanche, découlait d’une bile noire prédominante.

Ayant perdu le sens de « fluide corporel » au 19ième siècle, le terme humeur est conservé dans le langage courant pour évoquer les émotions ou une disposition affective comme dans l’expression être de « bonne » ou de « mauvaise » humeur. Aujourd’hui, il sert à désigner un état d’âme passager ou persistant.

Quoique de source étymologique distincte, on retrouve également le terme thymique en lien avec l’humeur et les émotions comme la cyclothymie (trouble de l’humeur) ou l’alexithymie (difficulté à exprimer verbalement les émotions). (Voir Le cœur et l’attachement pour en savoir plus sur le thymus).

Même si la thèse hippocratique s’est avérée incorrecte, on reconnaît tout de même aujourd’hui le rôle prépondérant que jouent les différents « fluides du corps », comme les hormones ou neurohormones, les neurotransmetteurs, les peptides et les ligands, sur la santé, l’humeur et ses fluctuations.

lundi 23 mars 2015

La bipédie, une marche révolutionnaire


Il y a 6 millions d’années, nos ancêtres primates abandonnèrent la position quadrupède pour se tenir sur deux jambes. À elle seule, la bipédie allait non seulement marquer l’histoire de l’humanité, mais révolutionner le corps humain dans sa globalité, déclenchant des modifications physiologiques irréversibles majeures.

L’érection de la colonne vertébrale a eu, d’une part, un impact direct sur l’utilisation des sens. En s’éloignant du sol, et donc du nez, l’Homo erectus fut alors appelé à regarder au loin, privilégiant ainsi le sens de la vision au détriment de l’odorat (voir aussi Subodorer). Cette nouvelle réalité et stimulation sensorielle furent donc propices au développement du cortex visuel, occupant aujourd’hui le tiers de l’espace cérébral.

La libération des membres antérieurs a par ailleurs favorisé le développement de nouvelles aptitudes et habiletés comme se tenir, s’agripper, se hisser ou encore saisir des objets. Ultimement, beaucoup plus tard dans l’évolution de l’espèce humaine, cette nouvelle dextérité manuelle ouvra la voie à l’utilisation d’objets et à la fabrication d’outils.

Mais le changement le plus fondamental déclenché par la nouvelle posture est sans aucun doute énergétique. La quadrupédie étant beaucoup plus énergivore, la bipédie a en effet permis de libérer une quantité considérable d’énergie servant au développement de nouvelles fonctions cognitives.

Car même s’il ne représente que 2% de notre masse corporelle, le cerveau consomme à lui seul près de 20% de nos ressources en glucose et 20% de l’oxygène que nous respirons, faisant de lui l’organe le plus gourmand du corps humain (voir aussi La tête vs "le reste du corps").

Cette impressionnante consommation d’énergie s’explique du fait que le cerveau ne s’éteint jamais. Même lorsque nous dormons, celui-ci s’affaire à réorganiser les informations emmagasinées en plus de gérer les cycles du sommeil.

Bipède le plus répandu sur Terre, l’Homo sapiens est aujourd’hui considéré l’animal le plus intelligent de la planète. Disons seulement que, cognitivement parlant, il est le plus évolué. Pour le reste, seule l’Histoire nous le dira.


lundi 16 mars 2015

L’hypersensibilité


Une intelligence remarquable, ou encore des capacités intellectuelles exceptionnelles, n’ont jamais été considérées une mauvaise disposition. Bien au contraire. On salue et récompense sans cesse les facultés cognitives hautement développées. Les connaissances intellectuelles, le raisonnement logique et mathématique ont toujours remporté la palme. Mais lorsqu’il s’agit du corps et de certaines habiletés surdéveloppées, on entre bien souvent, malencontreusement, dans le monde de la pathologie. C’est le cas, entre autres, de l’hypersensibilité.

Pourtant, tout être vivant est un être sensible (1), la sensibilité étant une propriété que possède un organisme vivant, ou même un organe, à réagir sous l’effet d’une excitation (2). Il s’agit donc d’une aptitude, d’une capacité à détecter une émotion ou de faibles variations ambiantes, par l’usage d’un capteur notamment (2).

Or dans le monde des sensations et des émotions humaines et animales, ce capteur est nul autre que le corps. Semblable au baromètre, le corps est un précieux et sensible instrument vibrant, capable de détecter, de mesurer et d’évaluer les stimuli présents dans l’environnement, ce milieu éthéré dans lequel nous baignons, et leurs subtiles fluctuations.

Doté d’une immense intelligence qui lui est propre, l’intelligence kinesthésique, le corps parvient à sentir, à ressentir, voire pressentir les ambiances, les atmosphères, les messages non-verbaux et les non-dits, sous forme d’impressions ou de fortes sensations viscérales qui tissent cette profonde conviction, cet intime savoir inexplicable que nous appelons intuition.

Autrement dit, le corps et ses habiletés somatiques sont à l’intelligence kinesthésique ce que le cerveau et ses fonctions sont à l’intelligence cognitive, soit un ensemble de tissus nerveux hautement sophistiqué et organisé servant au traitement de l’information des milieux interne et externe de l’organisme.

Alors que les émotions sont des mouvements internes du corps humain, la sensibilité, elle, relève de l’intelligence kinesthésique. C’est grâce au système sensoriel et à une fonction kinesthésique des plus raffinés, le ressenti, permettant à l’instrument corporel de frémir sous l’émergence d’une émotion, que le corps accomplit cette mission.

Dans ce contexte, l’hypersensibilité est donc la manifestation d’une fonction corporelle surdéveloppée, une fonction kinesthésique « haute définition ». Se situant aux antipodes de l’apathie sur l’échelle de la conscience corporelle (voir Apathie et états dissociatifs), l’hypersensibilité démontre une extraordinaire capacité à capter les informations en provenance de l’environnement.

En plus de faire preuve d’une empathie hors du commun, les hypersensibles, ou les hyperémotifs comme on les surnomme généralement, sont facilement émus, touchés ou affectés par ce qui passe autour d’eux, et donc en eux. On les dit à fleur de peau, trop émotifs ou même fragiles, leur hypersensibilité étant perçue, à tort, comme une faiblesse de caractère (3). En réalité, leur instrument est plus sensible que d’autres, mieux « accordé » en quelque sorte, ou tout simplement plus efficace, plus « performant ».

Tout le monde peut jouer du violon. Seulement, certains ont entre les mains un Stradivarius. Ça résonne autrement. 

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(1) Les animaux sont des êtres sensibles - À cet effet, je vous invite à consulter le manifeste sur la reconnaissance des droits des animaux comme être sensible ainsi qu’à signer le Manifeste pour une évolution du statut juridique des animaux dans le Code civil du Québec en consultant le site « Les animaux ne sont pas des choses ».

(2) Définitions du dictionnaire.

(3) Dans certains cas, l’hypersensibilité est à la source d’un trouble de l’humeur.


lundi 2 mars 2015

La danse, la folie et les femmes


La danse et les mouvements du corps sont bien souvent associés à la folie. Dans certains contextes, ils incarnent le chaos, le désordre, l’agitation dérangeante.

On n’a qu’à penser aux Ménades (1) ou encore à la danse de Saint-Guy, cette maladie neurologique, aussi appelée chorée de Sydenham, causée par une infection à streptocoque affectant les nerfs et provoquant par le fait même des convulsions, soit des contractions musculaires et des mouvements involontaires du tronc et des membres.

D’ailleurs, Saint-Guy est non seulement le saint patron de la danse, du théâtre et des arts de la scène, mais aussi des épileptiques. Surnommé le « mal sacré » ou « mal de Saint-Jean » au Moyen-Âge, l’épilepsie a longtemps été considérée une possession du corps et de l’esprit en raison des mouvements convulsifs provoqués par la crise elle-même. On appelait alors les personnes atteintes les « danseurs de Saint-Jean ».

Car plus souvent qu’autrement, un corps en mouvement évoque un être frénétique, un individu ayant perdu le contrôle de soi, du corps, et donc de l’esprit. Les mouvements inapprivoisés représentent cette perte de la raison, le déchaînement de pulsions et de désirs irrépressibles, ou encore la présence de forces occultes incontrôlables, voire maléfiques. En ce sens, la danse symbolise cette folie faite de chair et de sang.

L’hystérie, par exemple, illustre bien ce rapport fascinant qui existe entre les mouvements du corps et l’irrationalité. Issu du courant psychanalytique à la fin du 19ième siècle, cet « excès émotionnel incontrôlable » trouve son origine dans l’Égypte ancienne. La théorie stipulait en effet que l’utérus en déplacement dans le corps provoquait des symptômes physiques inexplicables, des infections ou encore un trouble névrotique réservé aux femmes évidemment - le terme hystérie provenant du mot grec hystera qui signifie utérus ou matrice.

En réalité, toute femme à l’époque qui affichait une sexualité inassouvie était considérée « hystérique ». L’histoire nous le montre bien, les femmes ont toujours été considérées « folles » du moment où elles exhibaient des traits ou des comportements définis à tort masculins comme la colère, l’agressivité et la sexualité. Alors vue « dénaturée », la femme est dite empreinte du « désordre » (2) et donc atteinte d’un trouble mental quelconque.

De fait, une femme « dérangeante » est nécessairement « dérangée » (notons que le concept hippocratique de la « femme dérangeante » a bel et bien existé en médecine antique) et de suite perçue comme une « hystérique », une « névrosée », une « furie » (3) victime d’emportement, ayant perdu la tête, et donc, par extension, la raison. Autrement dit, c’est une « folle à lier » qu’il faut attacher, ligoter au lit (psychiatrique évidemment) afin de contraindre les mouvements du corps, et surtout, d’émancipation.

D’ailleurs, dans son essence, la femme est vue privée du contrôle de soi et des « vertus » de la pensée logique et raisonnable propre à l’homme. À ce propos, le mot vertu provient du latin virtus, dérivé de vir qui signifie « homme » et qui a donné « viril » et « virilité ». Le terme virtus servait à désigner la force morale et la discipline de « l’homme rationnel » et bien pensant, s’opposant au caractère « impulsif » et « irrationnel » de la femme.

Un autre mythe qui remonte à la nuit des temps.


Bonne Journée internationale de la femme (8 mars).


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(1) Dans l’Antiquité gréco-romaine, les Ménades (ou Bacchantes chez les Romains) étaient des femmes qui accompagnaient le cortège dionysiaque pratiquant des danses « furieuses et délirantes ». Le terme Ménades provient du mot grec maniais signifiant « esprit égaré » qui a donné le mot manie que l’on retrouve en médecine psychiatrique, notamment dans la phase dite maniaque de la bipolarité.

(2) Soulignons qu’en anglais le mot disorder sert à désigner les troubles mentaux.

(3) Furie : « femme emportée et méchante » (dictionnaire).