lundi 24 novembre 2014

Cerveau unique et malléable


Le cerveau est un organe absolument captivant. Dépassant à peine les trois livres, il vaut toutefois son pesant d’or.

Première caractéristique étonnante à propos du cerveau, sa morphologie individuelle. En effet, chaque personne possède une cervelle, ou encéphale, qui le distingue des autres. On pourrait comparer cette particularité du cerveau aux empreintes digitales, ou mieux encore, au visage humain. Tout en étant constitué des mêmes composants - deux yeux, un nez, une bouche, un front, un menton, alouette -, chaque visage est néanmoins unique - à l’exception des jumeaux identiques évidemment, issus du même embryon. De même, chaque cerveau est unique.

Anatomiquement parlant, et de manière générale, nous possédons tous les mêmes structures cérébrales. Seulement, leurs relations entre elles, et dans certains cas, même leur emplacement comme la localisation des centres du langage par exemple, diffèrent grandement. Et là, sur ce point, même les jumeaux identiques développent leurs propres connexions neuronales et variations topographiques, notre cerveau étant façonné aussi bien par nos expériences et apprentissages que notre bagage génétique.

Autre particularité impressionnante du cerveau, sa malléabilité. Connue sous le nom de neuroplasticité, cette caractéristique signifie que l’organe cérébral est capable de réorganiser ces réseaux neuronaux, de se transformer, formant ainsi de nouvelles connexions synaptiques.

Cette découverte, la plus importante des dernières décennies dans le domaine neurologique, a complètement révolutionné notre compréhension du cerveau et balayé par le fait même de nombreuses notions qui semblaient pourtant bien établies. Jusque-là, on croyait en effet que le développement du cerveau était fixe. Une fois son développement optimal atteint à l’âge adulte, les neurones entamaient un dépérissement inévitable, affectant, cela va sans dire, les fonctions cognitives.

Or, nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien. La neuroplasticité a été démontrée dans maintes études et la formation de nouvelles connexions entre les neurones est possible grâce à la stimulation du cerveau et de ces fonctions.

L’apprentissage de nouvelles aptitudes, connaissances et habiletés, comme apprendre une langue, jouer un instrument de musique ou danser de nouvelles danses, sont toutes des formes de stimulation neuronale ou « gymnastique cérébrale ».

lundi 17 novembre 2014

S’évanouir ou fuir sans courir


Si vous êtes un fan de la série américaine « The Big Bang Theory », vous connaissez alors Sheldon Cooper, ce « sympathique » personnage qui évoque Monsieur Spock (voir Reprendre du poil de la bête).

Extrêmement logique et obsessif, doté d’une mémoire absolue et d’un quotient intellectuel relevant du génie, Sheldon Cooper, similairement à Spock, évite tant bien que mal les émotions humaines, les grands sentiments et, autant que faire se peut, les démonstrations d’affection.

Il ne possède pas non plus l’étoffe d’un battant. Devant l’apparence d’une menace ou d’un stress intense, Sheldon perd systématiquement connaissance.

L’évanouissement, ou la perte de connaissance et de conscience, s’inscrit parmi les réactions automatiques de défense et de protection de l’organisme humain aux côtés du combat, de la fuite et du figement (1). La distinction entre celui-ci et les trois autres mécanismes repose essentiellement sur la branche du système nerveux impliqué. Alors que les réponses de combat, de fuite et de figement sont déclenchées par le système nerveux sympathique, l’évanouissement, pour sa part, relève de sa branche « antagoniste », le système nerveux parasympathique.

Tous deux régis par le système nerveux autonome, le « sympathique » sert foncièrement de système d’activation du corps. En libérant des catécholamines, ou hormones de stress, il conduit l’organisme à une mobilisation accrue de ses ressources, un état interne de haute alerte servant à déclencher une réponse immédiate.

Le « parasympathique », à l’inverse, induit un ralentissement du métabolisme, favorisant plutôt le relâchement de l’organisme. À son apogée, sa « désactivation » est telle que, physiologiquement parlant, tout s’éteint. La personne perd alors conscience, et avec elle, disparaît aussi la menace.

Symboliquement, s’évanouir est également une façon de fuir la réalité sans avoir à courir. Similairement à la mort, cette réponse automatique de défense inflige une déconnexion d’avec le monde externe et la réalité, un débranchement complet de l’organisme, tant du corps que de l’esprit. Chez certains animaux, comme l’opossum par exemple, feindre la mort constitue une stratégie de survie efficace servant à détourner l’attention du prédateur.

En somme, tomber dans les pommes ou tourner de l’œil entraîne la perte totale de connaissance, de conscience et de contrôle, ce qui, clairement, va à l’encontre même de Sheldon Cooper. Expert de l’Univers « entier » et de son fonctionnement, hautement vigilant et particulièrement doué pour contrôler son environnement, Sheldon subit ainsi les forces du corps et de la Nature.

Comme quoi, face au danger, réel ou présumé, nos réactions peuvent sembler contre-nature. Une fois passé toutefois, le naturel revient toujours au galop. 

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(1) Il est important de distinguer l’évanouissement comme mode de défense, c’est-à-dire en réaction à un danger ou stress intense, du malaise résultant d’une maladie ou d’un déséquilibre physiologique comme l’hyperventilation ou l’hyperthermie par exemples. Alors que la conséquence physique s'apparente, la cause, elle, diffère grandement.

lundi 10 novembre 2014

Tourner le dos


On ignore généralement ce qui se passe dans notre dos. Littéralement et symboliquement. Utilisant principalement la moitié frontale de notre corps, on est beaucoup plus conscient de l’avant-corps.

Visible, accessible et surtout « présentable », le devant du corps nous mène vers l’avant (ou par le bout du nez). Essentiel pour regarder, s’orienter et se déplacer - du moins pour les voyants, les non-voyants faisant appel à des repères et stimuli autres que ceux de la vision -, la partie antérieure de notre corps sert à affronter la journée, aller à la rencontre de l’autre, faire face aux événements, tragédies et aléas de la vie.

D’ailleurs, on préfère de loin avancer, procurant une sensation sécurisante de progression et d’évolution, que reculer.

« Revers du corps humain* », le dos, lui, sert principalement à s’adosser ou à s’allonger. Droit, voûté, carré ou cambré, il est utile pour porter un poids, celui de l’épicerie ou du monde entier, ou encore le fardeau de la vie en général, d’où l’expression « en avoir plein le dos ».

Le derrière du corps sert également à supporter sans se plaindre (« avoir bon dos »), à protéger l’autre (« I’ve got your back Jack »), à se faire des ennemis (« se mettre à dos »), à accuser (« mettre sur le dos de »), ou encore à établir un lien de confiance (en se laissant tomber vers l’arrière pour être attrapé par quelqu’un par exemple).

Mais étonnamment, le dos sert aussi à changer de direction. Tourner le dos à quelqu’un ou à une situation, c’est l’ignorer complètement. Que se soit par mépris, déni, nécessité ou sagesse, faire demi-tour permet de détourner le regard, contempler de nouveaux horizons et envisager de nouvelles possibilités.

Fait consciemment et volontairement, tourner le dos c’est quitter. Et finalement être en bonne posture pour mieux aller de l’avant.


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*définition du dictionnaire

lundi 3 novembre 2014

Accro à l’adrénaline


L’énergie est à la mode. Être vert et énergétiquement économique, c’est le discours réservé à l’environnement. En ce qui a trait au corps en revanche, l’être humain est plus que jamais appelé à se dépasser, à se dépenser, à brûler son énergie, potentiellement jusqu’à l’épuisement.

Époque du multifonctionnel et du multitâche, pour tenir le rythme et demeurer dynamique, performant, productif et compétitif (ouf), forcément, il faut avoir de l’énergie. À ce propos, notons que les boissons énergisantes pullulent sur le marché, contenant des doses excessives de caféine et d’ingrédients stimulants.

Mais similairement au sucre et à la caféine, il est également possible de carburer à l’adrénaline et développer une dépendance au « rush » (1) et à l’état que celui-ci procure.

Hormone (ou neurohormone) bien connue, l’adrénaline est une substance sécrétée par le corps en réponse à une menace apparente ou stress intense. Régi par le système nerveux sympathique, le « système d’alarme interne » déclenche les réactions automatiques de défense et de protection comme celles du combat et de la fuite. Par le fait même, une réserve énergétique est alors libérée, acheminée vers les muscles notamment, munissant ainsi l’individu de toute l’énergie nécessaire pour faire face à la demande et réagir promptement.

Du coup, en raison de la forte et subite mobilisation physiologique ressentie, l’adrénaline, aussi appelée épinéphrine, induit un sentiment de force et de puissance intérieure. Soulevée par ce brusque regain d’énergie, la personne est alors habitée d’une sensation de « capacités augmentées », une impression de pouvoir relever tous les défis.

Il est donc facile à la longue de prendre goût, et même un certain plaisir, à cet état interne de haute alerte, d’autant plus qu’il s’agit d’une substance « propre », naturelle et ô combien accessible.

Toujours pressé, constamment « dans le jus » et la hâte excessive, l'état de corps devient une puissante force motrice et, tel un réflexe pavlovien, une réaction psycho-corporelle addictive peut alors se développer.

Or, sous l’apparence d’une « haute performance » se produit toutefois un phénomène spatio-temporel qui mérite d’être souligné.

En effet, l’état d’empressement ou d’urgence se traduit essentiellement par une attitude intérieure de précipitation, définie par Laban comme un « combat exagéré contre le temps » (2). Entremêlé à un effort musculaire « soudain », l’état de précipitation s’accompagne d’une « sensation motrice de brève période de temps, une impression d’éphémère » (2). Autrement dit, le temps revêt un caractère fugitif.

Contrairement à l’état de choc qui confère une impression d’arrêt du temps durant lequel l’événement semble se dérouler en « images arrêtées » (voir Choc et état second), l’état de précipitation, à l’inverse, en plus de réduire la vision périphérique, procure une sensation de brièveté du temps. De là émerge ce sentiment que le temps s’enfuit, qu’il nous échappe constamment, et puis finalement, qu’il nous faut courir après le temps.

Or, il se trouve que ralentir le pas accroît l’espace-temps.


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(1) Le mot « rush » désigne à la fois un « effort ultime à l’approche d’un but » et la libération soudaine de cette hormone de stress, communément appelé « rush d’adrénaline ».

(2) Laban, R. (1994). La maîtrise du mouvement (4è éd.). France: Actes sud.