lundi 25 août 2014

Le côté gauche


Être gauche signifie être de travers ou maladroit. Essentiellement, ça veut dire être mal-à-droite.

On méprise depuis fort longtemps le côté gauche du corps, ou hémicorps gauche, portant sur lui (et en lui) une connotation négative. Considéré indigne et malhabile, il incarne l’impur, le mal, le « mauvais » côté du corps, et par extension, celui de la nature humaine. Se lever du pied gauche, par exemple, veut dire se lever de mauvaise humeur.

Par opposition, l’hémicorps droit est le « bon » côté du corps humain. À la fois dominant et respectueux, il représente l’habileté, la rationalité et même la « droiture » de l’être humain. Le bras droit de quelqu’un, par exemple, signifie son successeur, son assistant. Il renvoie à une personne de confiance, à sa loyauté et son honnêteté.

Incarnant la moitié digne du corps humain, l’hémicorps droit est donc présenté, utilisé ou mis de l’avant dans nombreuses coutumes, traditions et gestes quotidiens. On utilise la main droite pour serrer celle de l’autre, pour prêter serment, ou encore pour recevoir un sacrement. Plusieurs religions requièrent en effet que les gestes de prière et les rituels d’oraison soient exécutés avec le côté noble du corps.

Alors que le corps est bilatéral, et ce jusqu’au cerveau - outre les hémisphères, on retrouve en effet de nombreuses structures paires dans l’encéphale comme l’amygdale, le thalamus et l’hippocampe notamment - (à ce sujet voir aussi Les deux font la paire), le côté gauche du corps demeure le mal-aimé de la bilatéralité corporelle.

Mais le plus fascinant dans cette histoire, et à la fois paradoxal, c’est qu’en raison de la décussation, le croisement du système nerveux qui explique qu’un hémisphère cérébral commande et gère les informations de la moitié opposée du corps, l’hémicorps gauche est contrôlé par l’hémisphère droit du cerveau.

Siège préférentiel du traitement de l'image et de la communication non-verbale, l’hémisphère droit est prisé depuis plusieurs années pour ses facultés hautement recherchées comme les habiletés spatio-temporelles, la compassion et la créativité.

Faut-il aussi le mentionner, un des plus grands artistes et créateurs que le monde ait connu était lui-même gaucher. Léonard de Vinci était pourtant loin d’être gauche.



lundi 18 août 2014

Subodorer


Essentiel chez les primates et particulièrement fascinant, le sens de l’odorat joue un rôle primordial à la reproduction et à la survie des espèces. C’est grâce au flair que l’on choisit sa nourriture, un partenaire et détecte aussi une bonne affaire.

Intimement lié au goût – autre sens chimique –, le sens de l’odorat permet de déceler les mauvaises odeurs qui émanent des aliments en état de putréfaction. La réaction de dégoût qui s’ensuit, réflexe émotionnel inscrit dans les régions les plus anciennes de notre cerveau, entraîne le rejet automatique d’une source potentielle d’empoisonnement.

Chez les animaux, c’est bien connu, l’odorat joue un rôle fondamental à la survie. Il permet de repérer des pistes menant à la nourriture ainsi que de flairer des partenaires sexuels potentiels. De même chez l’humain, les odeurs permettraient de choisir un partenaire sexuel « souhaitable », c’est-à-dire présentant des affinités ou avantages génétiques. C’est grâce aux phéromones que ces « échanges d’informations » ont lieu (voir Les phéromones ou la chimie des peaux).

Toutefois, principalement en raison de la bipédie, l’évolution du cerveau a accordé une plus grande place au développement du cortex visuel, et donc au sens de la vision, délaissant peu à peu l’usage de l’odorat et ses fonctions (voir La bipédie, une marche révolutionnaire). Il n’en demeure pas moins que les reliquats de notre cerveau olfactif demeurent connectés, eux, au « centre des émotions ».

En effet, les fibres olfactives qui tapissent les cavités nasales envoient leurs signaux aux bulbes olfactifs, partie intégrante du système limbique, siège des émotions, du désir et de l’instinct. C’est donc grâce à cette voie neuronale primitive qu’il nous est possible de « sentir » subtilement ce qui s’en vient, c'est-à-dire de subodorer, ou encore de détecter qu’une situation « sent mauvais ».

Aptitude instinctive à développer, l’art de humer et de pressentir permet de rester au parfum de son environnement.


lundi 11 août 2014

Choc et état second


L’annonce d’une mauvaise nouvelle, la mort d’un proche ou l’arrivée d’une catastrophe par exemples, a l’effet d’un véritable choc sur l’être humain. Saisi par la nouvelle, ébranlé par les événements, du coup, tout semble irréel. Suivant l’initial état de choc et son arrêt du temps, s’installe ensuite un état second. Malgré ses apparences, cet état transitoire relève de l’intelligence même de l’organisme humain et de sa grande capacité d'adaptation.

Il n’est pas question ici de dissociation au sens propre du terme, durant laquelle l’esprit est ailleurs, « détaché » du corps physique, et plus souvent qu’autrement, loin d’une douleur physique ou morale intense. Dans le cas présent, l’état second fait plutôt référence à un état dissociatif de moindre intensité ressenti comme un état de « suspension ».

Comme si l’âme était en retrait, décalée du corps physique, l’état second s’apparente à un déphasage entre le corps et l’esprit durant lequel l’espace-temps prend de l’expansion, d’où cette impression de ralentissement du temps accompagnée d’une sensation de conscience altérée.

Le corps physique, lui, apparaît « éthéré » ou même inhabité. Abasourdi par l’impact de la terrible nouvelle, il subit un réel engourdissement. À l’instar d’une anesthésie, les symptômes physiques habituels (anxieux, dépressifs, somatiques, etc.) sont eux aussi altérés, voire suspendus temporairement.

Muni en quelque sorte d’un « pilote automatique », l’organisme humain maintient ses fonctions de base durant cet état transitoire. Le corps évolue lentement, suivant des réflexes et des habitudes de vie bien ancrées, pendant que l’esprit, lui, s’affaire à repasser en boucle les scènes du drame et leur déploiement.

Loin d’être pathologique*, l’état second est en fait une réaction saine et naturelle qui relève de l’intelligence globale de l’organisme humain, c’est-à-dire à la fois physique et psychologique. Alors que l’état de choc sert à protéger la personne de l’impact de l’événement, d’en absorber le coup, l’état second, lui, facilite sa résorption et son intégration.

Similairement à la dissociation, l’état second sert une fonction biologique de protection. Il permet à l’être humain d’entamer le processus du deuil et de transition afin de s’adapter à sa nouvelle réalité.


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*La pathologie survient seulement lorsque l’écart entre le corps et l’esprit persiste et que la personne s’enlise dans un état dépressif sans retrouver son état habituel et ses élans les plus profonds.

lundi 4 août 2014

L’œil scientifique


Dans une perspective anthropologique du corps humain, l’œil, pour son sens de la vision, représente l’organe privilégié de la science. Car « voir, c’est croire ».

L’avènement de la pensée scientifique a engendré une organisation des phénomènes, et dès l’époque des Lumières, on assiste alors à une classification du monde et de ses composants. Les différents champs d’études, s’intéressant du plus petit phénomène (chimie) au plus grand (astronomie), s’appliquent alors à identifier, à trier, à mesurer, peser, numéroter, quantifier, nommer, bref, à répertorier le monde et ses éléments afin d’en extirper des formules mathématiques et des lois claires qui non seulement expliquent leur manifestation, mais surtout, et mieux encore, en prédisent l’émergence.

La méthode scientifique requiert en effet une démarche rigoureuse. Elle exige une observation directe et vérifiable ainsi qu’une démonstration claire par la tenue d’expériences objectives et répétables. C’est dans cette optique que des appareils perfectionnant le sens de la vision, sa performance, son acuité ou sa précision, comme le microscope, le télescope et les satellites par exemples, ont vu le jour. Ces précieux instruments technologiques servent à observer des phénomènes qui sont invisibles à l’œil nu.

Dans la foulée, l’approche scientifique a pour ainsi dire écarté l’étude de nombreux phénomènes neuro-biologiques jouant pourtant un rôle important pour l’humain et sa santé. L’impact des émotions sur le corps, le ressenti, les sensations, et autres propriétés kinesthésiques, sont des phénomènes psycho-corporels inaccessibles à « l’œil scientifique ». Quoique invisibles, ils sont pourtant bien réels.

Certes, grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, des images du « cerveau des émotions » en pleine activité sont maintenant possibles. Mais, aussi fascinantes soient-elles, ces images ne représentent en réalité que la pointe de l’iceberg. Une émotion se situe dans le corps. Elle fait appel aux mémoires notamment, cognitives, corporelles et musculaires, ainsi qu’à de nombreuses fonctions du corps dans sa globalité. Son émergence déclenche une véritable expérience émotionnelle qui transcende le cerveau et sa région limbique.

Dans ce contexte, il est vrai, rien n’est plus subjectif qu’une émotion, et donc difficilement mesurable. Les expériences émotionnelles, somatiques et artistiques cadrent difficilement à la perspective scientifique. Mais peut-être qu'un jour la science ouvrira son champ de vision afin d’y inclure d’autres phénomènes, expériences humaines ou sensations, eux aussi invisibles à l’œil nu.