lundi 26 janvier 2015

Corpus callosum


Qualifiée par Ramón y Cajal* comme « l'une des plus obscures questions de la biologie », la décussation est ce phénomène neuronal qui explique que chaque hémisphère cérébral commande et gère les informations de la moitié opposée du corps. Cela signifie que, sur le plan médian du corps, les fibres nerveuses se croisent pour rejoindre l’hémisphère controlatéral (voir aussi Le côté gauche).

Une fois parvenues à destination cependant, les données sont traitées par de complexes circuits neuronaux. Étant reliés et communiquant entre eux via distinctes commissures dont le corps calleux, les deux hémisphères cérébraux s’échangent alors des informations.

Du latin corpus callosum, le corps calleux se compose de fibres axonales reliant les hémisphères droit et gauche. Il a été l’objet de nombreuses études, notamment dans le traitement de l’épilepsie, et participe activement à l’état de grâce ou de transe ressenti lors d’une activité enivrante.

Induisant une sensation de sérénité et de plénitude, cet état altéré de la conscience s’explique entre autres par une synchronisation des activités cérébrales entre les deux hémisphères soutenue par le corps calleux. (À cet effet, vous pouvez notamment visionner le documentaire “The Musical Brain” (2009) dans lequel le Dr Daniel Levitin de l’Université McGill à Montréal observe les activités cérébrales du chanteur et musicien Sting lors d’une pratique musicale.)

On constate que chez les pros, le corps calleux est hautement sollicité durant l’exercice de leur art, tandis que chez les amateurs, ce sont plutôt distinctes régions cérébrales qui s’activent unilatéralement.

Comme quoi la maîtrise d’un art, en l’occurrence l’absorption complète à laquelle elle convie, a le don de nous transporter ailleurs… sur les ailes du corpus callosum.

--------------
*Santiago Ramón y Cajal (1852-1934) neuroscientifique espagnol qui désirait être un artiste alors que son père souhaitait qu’il devienne médecin. En 1906, il reçut conjointement avec Camillo Golgi le prix Nobel de physiologie ou médecine pour leurs études histologiques du système nerveux. Les dessins réalisés par Ramón y Cajal illustrant les différentes cellules nerveuses et leurs ramifications sont à la fois légendaires et époustouflants.

lundi 19 janvier 2015

Piloérection et horripilation

“Some people just get under your skin”. Cette expression du langage, dont on pourrait traduire l’essence par le mot horripilation, décrit parfaitement cette réaction à la fois physiologique et psychologique qui se produit lorsqu’une personne ou une situation nous agace fortement. On dit aussi que ceci nous énerve ou tombe sur les nerfs. Quoiqu’il en soit, quelle que soit la cible ou la destination finale, pour parvenir jusqu’à nous, le message passe inévitablement par la peau.

Organe le plus étendu du corps humain, la peau est un remarquable conducteur de sensations tactiles, d’informations chimiques, électriques et d'autres stimuli relevant du sens du toucher et de la sensibilité (voir aussi Muer ou changer de peau).

Frontière poreuse entre l’intérieur et l’extérieur du corps, entre soi et l’autre, la peau est également une membrane sensible au contact que nous avons avec le monde externe. Le froid donne la chair de poule, la peur aussi.

À sa manière, et dans un langage qui lui est propre, la peau parle constamment. D’un côté, elle révèle notre état intérieur, exprime nos émotions, met à jour nos sentiments, comme les rougeurs de la timidité, de la honte ou de la colère par exemples. Bref, elle rend visible l’invisible. De l’autre, elle nous informe sur ce qui se passe dans notre environnement, sur la qualité de ces échanges que nous avons avec autrui sous forme de marques et d’impressions.

L’horripilation, quant à elle, se manifeste par un courant froid et désagréable traversant une partie du corps juste en dessous de l’épiderme. Infligé par la peur, le mépris ou le dédain, ce frissonnement inconfortable est un signal clair dans le langage du corps, celui de la répulsion.

Accompagnée d’un sentiment d’effroi, cette réaction soudaine et particulièrement intense parvient à elle seule à redresser les poils du corps (piloérection) en plus d’éveiller un profond et puissant réflexe émotionnel, sans aucun doute le plus primitif de l’organisme humain, le dégoût. Ce dernier prenant naissance dans les profondeurs de l’antre guttural, la nuque est généralement la première région touchée par cette vague glaciale sous-cutanée provoquant ainsi un crispant haussement des épaules, d’où la sensation de frisson dans le dos.

Mobilisant d’entrée de jeu la bouche en tirant vers le bas ses extrémités, le dégoût provoque momentanément une forte aversion indiquant sans équivoque une source hautement toxique, potentiellement empoisonnée, qu’elle soit alimentaire ou socio-affective.

Tel un cri sourd cutané, l’horripilation laisse toujours un arrière-goût dans le corps et à la surface de la peau.



lundi 12 janvier 2015

Les trop-pleins intérieurs


La fumée nous « sort par les oreilles », ceci « fait suer », « fait chier » ou « donne à vomir ». Dans le langage courant, quand « la goutte fait déborder le vase », le trop-plein intérieur trouve toujours issue par les orifices du corps.

Les effets du stress ou d’une forte tension interne, les accès de colère ou de passion, sont expulsés du corps par la bouche, le nez, les oreilles, l’urètre, l’anus, les pores de la peau, et autres cavités corporelles comme les yeux par exemple. À cet effet, on peut pleurer toutes les larmes de son corps afin d’évacuer sa peine et sa douleur (voir Larmes et gamme d’émotions).

Cette idée de purger le corps afin de le libérer de « troublantes » émotions, d’en extirper le « mauvais » ou d’en « sortir le méchant » remonte à la préhistoire. Bien avant la découverte des psychotropes, on utilisait la trépanation, une pratique ancienne qui consiste à perforer la boîte crânienne afin de faciliter l’évacuation des « mauvais esprits » et par le fait même laisser s’échapper les maux du corps.

Servant au traitement de diverses maladies et pathologies, la trépanation a notamment été pratiquée par les Incas, il y a de cela plus de 500 ans, afin de soulager le crâne des pressions internes. Aujourd’hui, la craniotomie ou craniectomie, son équivalent moderne, est utilisée dans le traitement des traumatismes crâniens.

Mais il n’y a pas que les trop-pleins néfastes ou négatifs. Il y a aussi des « trop-pleins positifs » ressentis comme une « surcharge », une surabondance d’énergie, comme les débordements de joie, d’amour ou d’excitation qui suscitent des gestes, des mouvements du corps, des manifestations physiques, voire des « crises d’affection ».

Positif ou négatif, dans la recherche de l’équilibre, rien ne vaut l’ex-pression. Verbale, physique, artistique ou autre, l’expression facilite la décompression des corps, le relâchement mental, l'alignement harmonieux du corps et de l'esprit.


lundi 5 janvier 2015

Muer ou changer de peau

« Pour faire une omelette, il faut casser des œufs », disait Freud. Essentiellement, toute transformation exige une rupture. D’abord et avant tout, avec soi-même.

Ce phénomène apparaît clairement partout dans la Nature, mais il est particulièrement évident chez les crustacés. Animal à squelette externe, ou exosquelette, le crabe, comme d’autres crustacés, certains insectes et araignées, doit changer de carapace au cours de son développement, celle-ci étant devenue trop petite et donc inadéquate à sa croissance.

Durant cette période de transition appelée mue de croissance, l’animal se retrouve cependant vulnérable aux blessures et aux prédateurs, étant provisoirement démuni d’une carapace protectrice.

Symboliquement, il en est de même pour l’être humain. Non seulement nous ne possédons jamais le même corps, laissant derrière nous celui de l’enfance, de l’adolescence, et même celui d’hier, mais nous sommes continuellement appelés à nous transformer, physiquement et psychologiquement, en somme, à changer de peau.

Organe porteur de notre histoire et de notre identité, la peau se caractérise notamment par son exceptionnelle capacité de régénération. Nous laissons sans cesse des traces de nous-même au passage, des milliers de cellules portant l’essence même de notre identité génétique contenue dans l’ADN, mais similairement au crabe, nous délaissons aussi de « vieilles carapaces » sous forme d’anciens préjugés, comportements ou mécanismes de défense devenus obsolètes au fil du temps.

Or, avec chaque cellule qui s’envole surgit également une opportunité de renouvellement, une occasion de croître, de changer, de se métamorphoser. Afin de devenir qui on est foncièrement, cet être sommeillant en nous comme le chêne latent dans le gland, un point de rupture est non seulement inévitable mais nécessaire.

Muer et changer de peau, c’est aussi mourir un peu chaque fois, et tel un phénix, renaître de ses cendres. Encore faut-il accepter l’extrême vulnérabilité qu’exige la mue de croissance, ce passage obligé de l’évolution.


« Vint un temps où le risque de rester à l’étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d’éclore »  - Anaïs Nin (1903-1977) -