lundi 31 octobre 2016

Rire et sourire


Le visage du sourire

Dans son ouvrage de 1948, Le sourire – psychologie et physiologie, le médecin et psychologue français Georges Dumas (1866-1946) décrit, outre les pathologies du sourire, tous les nerfs et muscles faciaux qui sous-tendent les mouvements du sourire (1).

Selon l'auteur, le sourire est un « rire atténué, un rire qui s’arrête en commençant » (2) qui sollicite tous les traits du visage : « Ce n’est pas seulement la bouche qui sourit mais les joues, le nez, les paupières, les yeux, le front, les oreilles, et si l’on veut bien comprendre la nature et la signification du sourire, il importe de ne négliger aucune des parties du visage par lesquelles il s’exprime » (3).

Le sourire est défini comme une « expression rieuse marquée par un mouvement ascendant des coins de la bouche et un plissement des yeux » (4). Mais le vrai sourire, lui, l’authentique, implique non seulement les yeux mais le regard. Un regard brillant, scintillant, rempli de sympathie, de complicité, de reconnaissance de l’autre.


Le rire bénéfique et maléfique

Le rire, pour sa part, est « l’action d’exprimer la gaieté par l’élargissement de l’ouverture de la bouche, accompagné d’expirations saccadées plus ou moins bruyantes » (4). En plus d’être instinctif, le rire est un acte communicatif, voire, similairement au bâillement, contagieux (voir Bâiller).

De nombreux chercheurs, philosophes, psychologues et médecins se sont évidemment intéressés aux fonctions physiques, morales et thérapeutiques du rire, comme Darwin (dans « L’expression des émotions chez l’homme et les animaux ») ou encore Dr. Hunter « Patch » Adams, qui a inspiré le film « Docteur Patch» (1998) incarné par Robin Williams.

Les bienfaits du rire sont nombreux. En plus de détourner l’attention de la douleur, il réduit le stress et les tensions musculaires, augmente les défenses immunitaires et stimule la libération de nombreuses neurohormones dont les endorphines, hormones du bien-être aux propriétés analgésiques, et la dopamine qui stimule le circuit du plaisir et de la récompense (voir aussi Martha Graham et les endorphines et Plaisir et dopamine).

Conséquemment, il n’y a pas que les humoristes qui pullulent au Québec, les méthodes thérapeutiques par le rire se multiplient partout dans le monde. Toutes sortes de « rigolothérapies » et de « rigologues » ont vu le jour au cours des dernières décennies. Il existe des pratiques de yoga du rire, des clubs de rire et même des écoles internationales du rire.

Mais le rire n’a pas toujours eu la cote, notamment dans la religion catholique. Au Moyen-Âge, les chrétiens considéraient le rire comme un phénomène diabolique, un plaisir charnel somme toute, et donc péché, car ce qui émane du corps trouve nécessairement son origine dans le Mal (à ce propos, consultez La chaleur corporelle). 

Outre sa vertu thérapeutique, le rire, tout comme la démarche d’ailleurs, en dit également long sur la personne, levant le voile sur la personnalité, en faisant résonner l’essence (voir aussi Marche et démarche). 

Dans certains contextes, le rire est associé à la folie, mettant en lumière la pathologie de l’être déséquilibré qui, riant seul, entretient une conversation avec des voix imaginaires et des hallucinations. L’exclamation sonore devient alors l’expression d’un insensé. C’est ce même rire déplacé, voire menaçant, de l’assassin qui, dans les films d’horreur, donne froid dans le dos (voir Piloérection et horripilation).

Cette soudaine proximité entre le rire et la peur s’explique du fait que le rire est également le revers du cri.


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(1) Dumas, G. (1948). Le sourire – psychologie et physiologie. Paris: PUF. 
(2) ibid., p.10.
(3) ibid., p.11.
(4) Définition du dictionnaire.

lundi 24 octobre 2016

Danse-thérapie – notes de parcours

Elles sont une dizaine réunie dans la grande salle de détente d’un organisme montréalais venant en aide aux femmes. Toutes d’âge et de formes différents, au passé et aux motivations tout aussi uniques, ces femmes viennent pour les séances de danse-thérapie. Leur but? L’une souhaite expérimenter le mouvement, l'autre apprendre à habiter son corps, une autre retrouver ce corps perdu durant l’enfance. Rien de moins.

Quant à Jacqueline [pseudonyme], une femme gracieuse d’un certain âge (pour ne pas dire d’un âge certain), personne ne connaît vraiment le motif de sa présence. Une simple sortie durant la semaine? Une activité lui donnant l’opportunité de rencontrer d’autres femmes? Qui sait. Jacqueline ne parle pas, ou du moins très rarement. Mais Jacqueline danse.

Malgré des mouvements écourtés par le passage du temps, Jacqueline danse les yeux fermés, se laissant insoucieusement porter par la musique. Par moments, elle semble même avoir une conversation avec quelqu’un, - ou est-ce avec elle-même? Elle apparaît chaque fois si différente, comme si elle avait quitté cette salle grisâtre et maintenant suffocante pour basculer dans une autre tranche de l'espace-temps. Son corps est impliqué, ses gestes fluides. 

Les semaines passent, et à chaque séance, Jacqueline danse passionnément, s'investit corps et âme dans la musique, et repart en silence. Ce n’est qu’après plusieurs rencontres que Jacqueline se confie au groupe. Elle souffre d’arthrite. La douleur est pour elle une visiteuse quotidienne. « Mais quand je danse, nous avoue-t-elle souriante, je ne souffre plus. Quand je danse, je n’ai plus mal ».

C’est pour ça qu’elle est là. Nous aussi, disons. 

Manon, elle, a les bras rigides collés le long de son corps. Ses épaules sont tendues, légèrement relevées, les aisselles scellant ses bras à son thorax. La tension est palpable. La peur d’être approchée, d’être touchée, se dégage incontestablement de sa posture. 

Manon a connu l’inceste. Elle ne peut pas « se laisser aller », dit-t-elle. Elle pleure tant l’idée l’effraie. « Mon corps ne m’appartenait plus », lance-t-elle douloureusement au groupe. « Honore tes résistances », lui envoie spontanément une autre participante pour la soutenir. 

Honorer ses résistances. Aller là où l’on peut, doucement, à petites doses, à petits pas. Faire confiance à l'élan spontané tout comme à ce figement qui retient. Faire confiance au processus et au corps, ce puissant instrument d’expression. Il sait ce qu’il a à dire. 

Refuser de danser est aussi une forme d’expression. Un choix le sous-tend. C’est l’avantage d’être une adulte maintenant, la possibilité de refuser, de s’asseoir quand on nous invite à danser, bref, de ne plus subir quoi que ce soit. Ne pas se faire violence. 

Manon a le droit de dire non. 

C’est aussi ça la danse-thérapie, un geste pour soi, un mouvement vers soi.


lundi 17 octobre 2016

Le corps ne ment jamais

« Le mouvement ne ment jamais » affirmait la danseuse et chorégraphe américaine Martha Graham (voir aussi Martha Graham et les endorphines).

Le corps non plus.

On peut essayer de demeurer impassible, afficher un Poker Face ou même rester de glace, mais les émotions sont généralement accompagnées de réactions physiologiques qui trahissent leur présence. C’est là tout le moins le principe sur lequel repose le détecteur de mensonge.

Mentir engendre un stress, une tension interne qui se manifeste par des variations physiologiques mesurables comme la fréquence cardiaque, la pression artérielle, la température corporelle, la transpiration et, conséquemment, la conductance cutanée, signaux corporels captés par le polygraphe auquel la personne est connectée durant son interrogation.

Loin d’être une science établie et reconnue, cette technique d’interrogation utilisée dans différents contextes d’enquête demeure controversée, et même fortement critiquée, en raison de sa piètre fiabilité. Alors que certains individus activeraient le polygraphe par leur nervosité, d’autres parviendraient à déjouer l’appareil en contrôlant leur humeur, leurs émotions et donc leurs réactions, la clé du succès étant l’état de calme absolu (voir aussi La nervosité et l’axe de stress).

Notons à cet effet que certains individus considérés sociopathes ou psychopathes ne ressentent pas d’émotions, et donc ne présenteraient aucune réaction physiologique pouvant activer le détecteur de mensonges (voir Mouvoir et s’émouvoir).

Peut-être en est-il ainsi des menteurs chroniques.

Comme le disait si bien George Costanza, personnage de la fameuse série télévisée américaine « Seinfeld » des années 90, "It's not a lie if you believe it".


lundi 3 octobre 2016

Cheveux, poils et pilosité politique

On les décolore pour mieux les teindre, on les tresse, les greffe, les coupe, les peigne, les attache, ou bien les laisse en bataille. Certains les exhibent fièrement, d’autres les dissimulent sous un voile opaque. Plus qu’un simple poil à la surface de la peau, les cheveux sont des symboles identitaires forts, porteurs de messages et parfois même de grands changements.

Pour l’homme, la pilosité est d’abord un symbole de force et de virilité, d’où la tonte des cheveux et des poils faciaux lors de l’entrée monastique ou militaire. Par ce rituel de conformité, l’individualité s’estompe pour nourrir la puissance du groupe.

Chez la femme toutefois, outre leur fonction identitaire - on désigne généralement les femmes, tout comme les bières d’ailleurs (1), à leur chevelure (une blonde, une rousse, une brunette, etc.) - les cheveux incarnent la séduction et la sensualité. Dans « La naissance de Vénus », par exemple, œuvre de Sandro Botticelli du 15ième siècle, la déesse de la beauté est représentée avec de longs cheveux blonds animés par le vent dont les pointes, telle une flèche liant les deux régions pileuses, servent également à couvrir son sexe. 

Le lien entre la chevelure et la sexualité féminine incite certaines religions et sociétés à dissimuler les cheveux des femmes mariées, en deuil, si ce n’est pas toutes les femmes d’un pays. En particulier lorsqu’ils sont détachés, et donc libres, les cheveux de la femme apparaissent comme une affirmation immorale, une provocation.

Pour cette raison, raser la tête d’une femme est un acte punitif - on rasait la tête des femmes qui avaient fraternisé avec l’ennemi à la fin de la seconde guerre mondiale, entre autres. Servant de châtiment, d’humiliation sur la place publique, la tonte des cheveux a pour but de désexualiser la femme, de lui retirer ses « atouts ». Fait volontairement toutefois, le rasage du crâne devient alors un geste d’insurrection, de contestation, de dénonciation ou encore de sensibilisation.

À l’inverse, c’est la pilosité abondante et hirsute qui symbolise chez l’homme une forme de rébellion. En portant les cheveux longs, les hippies des années 60 s’affichaient contre l’« establishment » et la guerre au Viêtnam. De même, à la fin des années 50, Fidel Castro, en tête de la guérilla et de la révolution cubaine qui allaient chasser Batista et les Américains du pays, arpentait la Sierra Maestra accompagné des Barbudos (les Barbus) qui comprenaient Camilo Cienfuegos, barbu adulé à Cuba, et Ernesto « Che » Guevara, sans doute le révolutionnaire échevelé le plus populaire au monde.

Associée à un haut taux d’hormones mâles comme la testostérone, et donc chargée d’agressivité et de forces combattantes, une pilosité drue devient pour l’homme une arme politique, un symbole de force et de résistance. Cette tendance a toutefois été renversée dans les années 70 par le mouvement punk, le port du Mohawk incarnant la révolte carrément.

Malgré les tabous et le caractère « méchant » associés aux poils faciaux (2), on observe depuis quelques années le retour en force du port de la barbe et de la moustache chez les jeunes hommes de la nouvelle génération. Signe de changement sociétaire? D’une révolution latente émergeante? Ou simplement une mode, un effet du Movembre (3) par exemple? 

Esthétiques, rituels, identitaires ou politiques, les poils du corps incarnent de nombreux rôles sociaux, en plus de jouer leur fonction physiologique d’informateurs tactiles (voir aussi Piloérection et horripilation). 

Hautement sollicités, ils sont à un poil près de s’arracher les cheveux. 

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(1) L’étiquette arborant un personnage féminin à longue crinière, une microbrasserie québécoise a poussé l’association entre la femme et la bière encore plus loin en nommant ses produits « La Matante », « La Chipie », « La Veuve Noire » ou « La Tite’Kriss ». De quoi faire dresser les cheveux sur la tête. 

(2) Dans les films, les bandes dessinées et les dessins animés notamment, les « méchants » portent habituellement la barbe (le bandit Yosemite Sam dans Bugs Bunny), une fine moustache originale (Capitaine Crochet dans Peter Pan ou Jafar dans Aladin) ou bien une pilosité rare ou douteuse mais proéminente (les favoris et les sourcils de Gargamel dans les Schtroumpfs), sans compter tous les personnages de motards, de pirates, de voleurs et d’assassins plus barbus et échevelés les uns que les autres. Afin de contrer ce mythe, des groupes d’hommes à travers le monde, les « Bearded Villains », se sont donné pour mission la loyauté et le respect en participant à des œuvres de charité et des bonnes actions. 

(3) Movembre est un événement qui cherche à sensibiliser la population aux maladies masculines, comme le cancer de la prostate par exemple, en invitant les hommes du monde entier à se laisser pousser la moustache durant tout le mois de novembre - la fusion des mots moustache et novembre donnant Movembre.