On les
décolore pour mieux les teindre, on les tresse, les greffe, les coupe, les
peigne, les attache, ou bien les laisse en bataille. Certains les exhibent
fièrement, d’autres les dissimulent sous un voile opaque. Plus qu’un simple
poil à la surface de la peau, les cheveux sont des symboles identitaires forts, porteurs de messages et parfois même de
grands changements.
Pour l’homme,
la pilosité est d’abord un symbole de force et de virilité, d’où la tonte des
cheveux et des poils faciaux lors de l’entrée monastique ou militaire. Par ce rituel
de conformité, l’individualité s’estompe pour nourrir la puissance du groupe.
Chez
la femme toutefois, outre leur fonction identitaire - on désigne généralement les
femmes, tout comme les bières d’ailleurs
(1), à leur chevelure (une blonde, une rousse, une brunette, etc.) - les
cheveux incarnent la séduction et la sensualité. Dans « La naissance de
Vénus », par exemple, œuvre de Sandro
Botticelli du 15ième siècle, la déesse de la beauté est représentée avec de longs cheveux blonds
animés par le vent dont les pointes, telle une flèche liant les deux régions
pileuses, servent également à couvrir son sexe.
Le lien
entre la chevelure et la sexualité féminine incite certaines religions et
sociétés à dissimuler les cheveux des femmes mariées, en deuil, si ce n’est pas
toutes les femmes d’un pays. En particulier lorsqu’ils sont détachés, et donc
libres, les cheveux de la femme apparaissent comme une affirmation immorale, une
provocation.
Pour
cette raison, raser la tête d’une femme est un acte punitif - on rasait la tête
des femmes qui avaient fraternisé avec l’ennemi à la fin de la seconde guerre
mondiale, entre autres. Servant de châtiment, d’humiliation sur la place
publique, la tonte des cheveux a pour but de désexualiser la femme, de lui
retirer ses « atouts ». Fait volontairement toutefois, le rasage du
crâne devient alors un geste d’insurrection, de contestation, de
dénonciation ou encore de sensibilisation.
À
l’inverse, c’est la pilosité abondante et hirsute qui symbolise chez l’homme une
forme de rébellion. En portant les cheveux longs, les hippies des années 60 s’affichaient contre l’« establishment » et la guerre au Viêtnam.
De même, à la fin des années 50, Fidel Castro, en tête de la guérilla et de la
révolution cubaine qui allaient chasser Batista et les Américains du pays,
arpentait la Sierra Maestra accompagné des Barbudos (les Barbus) qui comprenaient Camilo Cienfuegos,
barbu adulé à Cuba, et Ernesto « Che » Guevara, sans doute le
révolutionnaire échevelé le plus populaire au monde.
Associée
à un haut taux d’hormones mâles comme la testostérone, et donc chargée
d’agressivité et de forces combattantes, une pilosité drue devient pour l’homme
une arme politique, un symbole de force et de résistance. Cette tendance a toutefois
été renversée dans les années 70 par le mouvement punk, le port du Mohawk incarnant la révolte carrément.
Malgré
les tabous et le caractère « méchant » associés aux poils faciaux (2),
on observe depuis quelques années le retour en force du port de la barbe et de
la moustache chez les jeunes hommes de la nouvelle génération. Signe de
changement sociétaire? D’une révolution latente émergeante? Ou simplement une
mode, un effet du Movembre (3) par exemple?
Esthétiques,
rituels, identitaires ou politiques, les poils du corps incarnent de nombreux rôles
sociaux, en plus de jouer leur fonction physiologique d’informateurs tactiles (voir
aussi Piloérection et horripilation).
Hautement
sollicités, ils sont à un poil près de s’arracher les cheveux.
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(1) L’étiquette arborant un personnage féminin à longue crinière, une microbrasserie
québécoise a poussé l’association entre la femme et la bière encore plus loin
en nommant ses produits « La Matante », « La Chipie », « La
Veuve Noire » ou « La Tite’Kriss ». De quoi faire dresser les
cheveux sur la tête.
(2)
Dans les films, les bandes dessinées et les dessins animés notamment, les
« méchants » portent habituellement la barbe (le bandit Yosemite Sam
dans Bugs Bunny), une fine moustache originale (Capitaine Crochet dans Peter
Pan ou Jafar dans Aladin) ou bien
une pilosité rare ou douteuse mais proéminente (les favoris et les sourcils de Gargamel dans les Schtroumpfs), sans compter tous les personnages de motards, de pirates, de voleurs et d’assassins plus barbus et échevelés les uns que les autres. Afin
de contrer ce mythe, des groupes d’hommes à travers le monde, les « Bearded Villains », se sont donné
pour mission la loyauté et le respect en participant à des œuvres de charité et
des bonnes actions.
(3) Movembre est un événement qui cherche à sensibiliser
la population aux maladies masculines, comme le cancer de la prostate par
exemple, en invitant les hommes du monde entier à se laisser pousser la
moustache durant tout le mois de novembre - la fusion des mots moustache et novembre donnant Movembre.