lundi 28 novembre 2016

Le toucher vital

On peut vivre aveugle, sourd ou même anosmique (perte de l’odorat), mais le sens du toucher, lui, est essentiel à la vie.

Le plus fondamental des systèmes sensoriels, le sens du toucher est le premier à faire son apparition durant le développement fœtal, celui-ci étant étroitement lié avec celui de la peau, l’organe le plus étendu du corps humain et sa délimitation (voir aussi Muer ou changer de peau ou encore Piloérection et horripilation). 

Alors que la peau convoie distinctes informations tactiles, le sens du toucher, lui, apparaît essentiel à la vie et au développement de l’être humain, une découverte mise en évidence dans les années 70 par les recherches, parfois déchirantes, sur l’attachement du psychologue américain Harry Harlow.

Celles-ci démontrèrent en effet que le toucher favorise non seulement le développement d’un attachement sain et sécurisant envers la mère, mais est essentiel à la santé mentale et à la survie des individus, surpassant les besoins d’être nourri, conforté et en sécurité. 

Intimement lié au rapport avec autrui, aux relations interpersonnelles ainsi qu’à l’espace personnel, le toucher incarne également ce point de contact avec l’autre. Il est le signe d’un rapprochement, souhaitable ou non, d’une certaine intimité, voire familiarité (concernant l’espace personnel, vous pouvez également consulter Être dans sa bulle). 

Pour cette raison, le contact physique est interdit avec certaines personnes influentes ou dignitaires, comme la reine d’Angleterre par exemple. 

Car en apparence, certaines personnes sont tout simplement intouchables.

lundi 21 novembre 2016

Révolutions et lents mouvements d’évolution

On se représente généralement une révolution comme un mouvement collectif brusque et même violent. C’est d'ailleurs une des définitions du terme, une « transformation soudaine et radicale ». Pourtant, lorsqu’il s’agit d’idées révolutionnaires, il en est tout autrement. 


1905, une année révolutionnaire 

Mille neuf cent cinq est considéré par plusieurs l’annus mirabilis d’Albert Einstein (1879-1955). Alors à peine âgé de 26 ans, jugé plutôt piètre élève par plusieurs de ses professeurs, le grand physicien d’origine allemande publia cette année-là quatre articles scientifiques majeurs, dont l’un contenant la fameuse formule E=mc2, un autre présentant les fondements de la théorie de la relativité, et puis un autre encore, portant sur la nature corpusculaire de la lumière, pour lequel il reçut un Prix Nobel. 

Année fructueuse donc, et pourtant ces travaux furent publiés dans l’indifférence la plus complète, ne provoquant invraisemblablement aucune onde de choc, alors que le principal intéressé travaille alors comme commis à l’Office des Brevets de Berne. 

Quatre années s'écoulèrent - un espace-temps relatif, mais tout de même long - avant qu’un renommé physicien de l’époque, nul autre que Max Planck, vienne souligner l’intérêt particulier des théories d’Einstein et sa vision révolutionnaire. Quant au prix Nobel de physique, il lui a été décerné en 1921, soit seize ans après la parution de sa théorie. Einstein avait alors 42 ans. 

Bref, les idées résolument révolutionnaires ne provoquent pas forcément de révolution. Bien au contraire.


Temps, mouvement et effort 

Les idées révolutionnaires exigent du temps, beaucoup même, avant d’être reçues, débattues, démontrées, approuvées par les uns, dénigrées par les autres, pour ensuite être prouvées de manière irréfutable, hors de tout doute raisonnable, avant de rejoindre le discours académique et la culture générale.

La vérification des théories d’Einstein à propos de la relativité générale, entre autres exemples, exigeait non seulement une éclipse de soleil, mais des conditions météorologiques favorables afin que les astronomes puissent photographier le mouvement des étoiles autour du soleil et ainsi mesurer l’infime déviation de leur trajectoire. De nombreuses complications, tant techniques, climatiques que géo-politiques venant perturber la périlleuse expédition, cette expérience exigea près de quinze ans, sans parler de l’arrestation d’un des chercheurs. 

De même, l’existence du boson de Higgs a mis plus de cinquante ans avant d’être confirmée. Et la théorie de l’évolution elle-même, présentée conjointement par Darwin et Wallace en 1858, sans doute l’une des idées les plus révolutionnaires des derniers siècles, continue de faire l’objet de découvertes qui démontrent « le caractère graduel et cumulatif de la sélection naturelle » (1). 

Contrastant et s’affrontant inévitablement aux idées et aux croyances d’une époque, les idées révolutionnaires apparaissent toujours, du moins à première vue, invraisemblables, à la limite farfelues, irréelles ou même grotesques, puisque incompréhensibles. De telles idées choquent, c’est le moins qu’on puisse dire. Galilée a été condamné pour avoir proclamé que la Terre tournait autour du Soleil, contrairement à la croyance de l’époque. Darwin, quant à lui, a causé l’hérésie au sein de la société anglaise, et à travers le monde, en levant le voile sur cette incroyable révolution corporelle s’étendant sur plus de quatre milliards d’années (voir aussi Darwin – force et adaptation ou La bipédie, une marche révolutionnaire). 

Foncièrement nouvelle et marginale, l’idée révolutionnaire est non seulement dérangeante mais menaçante, exigeant indubitablement une forme d’émancipation. Elle demande de se libérer d’une contrainte (morale, sociale, intellectuelle, politique ou autre), de s’affranchir d’une autorité (celle de l’Église par exemple), ou encore d’une vieille mentalité désuète et démodée, néanmoins incrustée dans les mœurs rassurantes de la société. 

Or le changement est ardu. Tout comme les révolutions d’ailleurs, il exige un effort individuel et collectif incommensurable (voir Effort et habitude ou encore Muer ou changer de peau). 

Le vote des femmes apparaissait une idée révolutionnaire aux États-Unis en 1850. Pourtant, il n’a été légalisé qu’en 1920. Est-ce qu’on peut appeler ça une révolution? Soixante-dix ans de négociations et des centaines de femmes emprisonnées pour avoir manifesté pour leur droit le plus fondamental à la démocratie? 

Ça ressemble plutôt à un lent, très lent mouvement d’évolution.

----------------- 
(1) Dawkins, R. (2008). Il était une fois nos ancêtres : une histoire de l'évolution. Paris: Hachette, p.535.


lundi 14 novembre 2016

L’équilibre n’est pas dans les pieds

Plusieurs prétendent ne pas avoir d’équilibre « dans les pieds ». Alors que le problème réside plus souvent qu’autrement dans la posture et l’alignement du corps, en particulier la position du bassin, l’équilibre, lui, se trouve plutôt dans l’oreille interne.

Siège de l’ouïe, l’oreille est un organe à la fois externe et interne, se divisant en trois parties : l’oreille externe, l’oreille moyenne et l’oreille interne. Alors que chacune d’elles est impliquée dans le traitement du son, l’oreille interne, pour sa part, abrite également un système vestibulaire servant à l’équilibre.

Constitué de petites structures similaires à des anneaux, les canaux semi-circulaires, le système vestibulaire est tapissé de cellules ciliées dont le mouvement, activé par le liquide interne appelé endolymphe, est capté par les cellules réceptrices qui envoient alors un signal au système nerveux. 

C’est ce même système d’équilibrioception qui est responsable des étourdissements provoqués par un changement soudain de position du corps, comme lorsqu’on saute trop rapidement du lit, par exemple. En réalité, ce sont les mouvements de la tête et son orientation qui permettent de détecter sa position. 

En plus du système vestibulaire, le sens de l’équilibre fait également appel à d’autres sensations comme le sens de la vision et la proprioception, soit le déplacement du corps dans l’espace-temps (voir aussi Le 6ième sens, une question de perception).


lundi 7 novembre 2016

Le corps figé par la peur

Des femmes violentées. Elles sont nombreuses, trop nombreuses même depuis quelques temps, mais au moins elles sortent de l’ombre, prennent la parole et dénoncent leur agresseur. C’est ça qui importe. Leur terrible expérience et leur courageux témoignage doivent servir : le corps fige lors de l’agression. C’est l’émotion de la peur qui s’empare aussi de leur corps. 


Agression sexuelle, le choc des mentalités

Suite à des révélations d’agression physique, psychologique et sexuelle, le public et les proches jugent généralement, et paradoxalement, beaucoup plus sévèrement la victime que l’agresseur, qui, lui, a pourtant enfreint la loi et la dignité humaine. Certains ont du mal à comprendre la réaction des victimes qui ont choisi de se taire plutôt que de dénoncer sur-le-champ, alors qu’elles tentaient de se libérer d’une lourde honte, laquelle, au fond, ne leur appartient pas.

D’autres, étrangement, cherchent plutôt dans leur comportement, leur passé sexuel ou encore leur tenue vestimentaire, l’élément déclencheur qui leur imputerait une part de responsabilité, qui justifierait un tel acte.

Et qu’est-ce que tout cela a à voir avec la notion de consentement? 

Plusieurs semblent l’oublier, ou l’ignorent tout simplement, les abuseurs possèdent dans leur arsenal l’arme la plus puissante qui soit, le contrôle de l’autre par la peur. 

Oui, la peur. 

Celle qu’on utilise pour manipuler des enfants, des femmes, des hommes et des sociétés entières, afin que l’agresseur (un violeur ou un état impérialiste, par exemples) puisse contrôler sa proie (un individu ou un pays entier) afin de commettre un sale acte souvent illégal, immoral et inhumain, et convaincre tout le monde par surcroît du bien fondé de ses actions.

C’est cette même psychologie de la peur qui a servi de cadre social et d’étau psychologique aux Nazis : « Bien entendu, le peuple ne veut pas de guerre. Le peuple peut toujours être converti à la cause des dirigeants. Cela est facile. Tout ce qu'il suffit de faire, c'est de leur dire qu'ils sont attaqués et dénoncer les pacifistes pour leur manque de patriotisme qui expose le pays au danger. Cela marche de la même manière dans tous les pays » (1). 

Pays ou individu, la stratégie est la même : faire planer la possibilité d’une conséquence grave, d’un danger imminent, induire la peur par la menace, la violence, les agressions afin de dominer l’autre et, somme toute, le neutraliser.


L’émotion de la peur 

La peur est une puissante émotion primaire profondément et fermement enfouie dans notre passé primitif qui s’accompagne d’une violente et saisissante réaction physique automatique, le figement.

« Parce que j’ai figé, que j’ai eu peur, que j'ai cédé », relate l’une d’entre elle (2). 

Combien de femmes ont figé face à leur agresseur, plus souvent qu’autrement un homme qu’elle connaissait pourtant bien, un collègue de travail, quelqu’un qu’elle côtoyait régulièrement - et non pas le bonhomme sept heure surgissant des buissons -, puisque c’est là la réaction fondamentale de l’organisme humain sous l’emprise de la peur. 

La peur et l’incompréhension. Deux ingrédients implosifs provoquant une réaction en chaine psychomotrice brusque, soudaine et incontrôlable, la paralysie momentanée (voir aussi Freeze! Le figement et La peur au ventre). 

Viennent ensuite l’état de choc et ses états intermédiaires qui, en apparence, ne semblent pas servir la victime, mais jouent précisément ce rôle; absorber le coup du traumatisme et les trop fortes émotions qui en émergent (voir Choc et état second). 

Et malgré tout cela, malgré l’horreur de l’agression, le traumatisme à la fois physique et psychologique subi, la violence des propos de l’entourage – combien d’entre elles ont été accusées de mentir ou de détruire la vie de l’agresseur en le dénonçant? -, on exige de ces femmes qu’elles crient haut et fort leur indignation, qu’elles dénoncent sous le coup et sur-le-champ, en plus de prouver leur innocence. 

Alors que ces femmes sont meurtries, pansant leurs blessures en silence et bien souvent en solitaire, elles devraient en plus se lever et aller à la guerre, une guerre sociale et juridique sous la huée et le mépris de nombreux spectateurs assoiffés de détails tordus et d’émotions fortes. 

Et quoi encore? 

Ah oui, retourner « à la normal » le plus rapidement possible, travailler, tenir maison, élever les enfants, être une superwoman, le corps hanté par le souvenir de la peur.


------------------------ 
(1) Le Nazi Marshall Hermann Goerin durant le procès Nuremberg. Tiré du film Hijacking Catastrophe – 9/11, Fear & The Selling of American Empire réalisé par Sut Jhally and Jeremy Earp en 2004. 

(2) Tiré du témoignage d’Alice Paquet dans « Elle a pas l’air d’une fille qui s’est fait violer ».