lundi 7 novembre 2016

Le corps figé par la peur

Des femmes violentées. Elles sont nombreuses, trop nombreuses même depuis quelques temps, mais au moins elles sortent de l’ombre, prennent la parole et dénoncent leur agresseur. C’est ça qui importe. Leur terrible expérience et leur courageux témoignage doivent servir : le corps fige lors de l’agression. C’est l’émotion de la peur qui s’empare aussi de leur corps. 


Agression sexuelle, le choc des mentalités

Suite à des révélations d’agression physique, psychologique et sexuelle, le public et les proches jugent généralement, et paradoxalement, beaucoup plus sévèrement la victime que l’agresseur, qui, lui, a pourtant enfreint la loi et la dignité humaine. Certains ont du mal à comprendre la réaction des victimes qui ont choisi de se taire plutôt que de dénoncer sur-le-champ, alors qu’elles tentaient de se libérer d’une lourde honte, laquelle, au fond, ne leur appartient pas.

D’autres, étrangement, cherchent plutôt dans leur comportement, leur passé sexuel ou encore leur tenue vestimentaire, l’élément déclencheur qui leur imputerait une part de responsabilité, qui justifierait un tel acte.

Et qu’est-ce que tout cela a à voir avec la notion de consentement? 

Plusieurs semblent l’oublier, ou l’ignorent tout simplement, les abuseurs possèdent dans leur arsenal l’arme la plus puissante qui soit, le contrôle de l’autre par la peur. 

Oui, la peur. 

Celle qu’on utilise pour manipuler des enfants, des femmes, des hommes et des sociétés entières, afin que l’agresseur (un violeur ou un état impérialiste, par exemples) puisse contrôler sa proie (un individu ou un pays entier) afin de commettre un sale acte souvent illégal, immoral et inhumain, et convaincre tout le monde par surcroît du bien fondé de ses actions.

C’est cette même psychologie de la peur qui a servi de cadre social et d’étau psychologique aux Nazis : « Bien entendu, le peuple ne veut pas de guerre. Le peuple peut toujours être converti à la cause des dirigeants. Cela est facile. Tout ce qu'il suffit de faire, c'est de leur dire qu'ils sont attaqués et dénoncer les pacifistes pour leur manque de patriotisme qui expose le pays au danger. Cela marche de la même manière dans tous les pays » (1). 

Pays ou individu, la stratégie est la même : faire planer la possibilité d’une conséquence grave, d’un danger imminent, induire la peur par la menace, la violence, les agressions afin de dominer l’autre et, somme toute, le neutraliser.


L’émotion de la peur 

La peur est une puissante émotion primaire profondément et fermement enfouie dans notre passé primitif qui s’accompagne d’une violente et saisissante réaction physique automatique, le figement.

« Parce que j’ai figé, que j’ai eu peur, que j'ai cédé », relate l’une d’entre elle (2). 

Combien de femmes ont figé face à leur agresseur, plus souvent qu’autrement un homme qu’elle connaissait pourtant bien, un collègue de travail, quelqu’un qu’elle côtoyait régulièrement - et non pas le bonhomme sept heure surgissant des buissons -, puisque c’est là la réaction fondamentale de l’organisme humain sous l’emprise de la peur. 

La peur et l’incompréhension. Deux ingrédients implosifs provoquant une réaction en chaine psychomotrice brusque, soudaine et incontrôlable, la paralysie momentanée (voir aussi Freeze! Le figement et La peur au ventre). 

Viennent ensuite l’état de choc et ses états intermédiaires qui, en apparence, ne semblent pas servir la victime, mais jouent précisément ce rôle; absorber le coup du traumatisme et les trop fortes émotions qui en émergent (voir Choc et état second). 

Et malgré tout cela, malgré l’horreur de l’agression, le traumatisme à la fois physique et psychologique subi, la violence des propos de l’entourage – combien d’entre elles ont été accusées de mentir ou de détruire la vie de l’agresseur en le dénonçant? -, on exige de ces femmes qu’elles crient haut et fort leur indignation, qu’elles dénoncent sous le coup et sur-le-champ, en plus de prouver leur innocence. 

Alors que ces femmes sont meurtries, pansant leurs blessures en silence et bien souvent en solitaire, elles devraient en plus se lever et aller à la guerre, une guerre sociale et juridique sous la huée et le mépris de nombreux spectateurs assoiffés de détails tordus et d’émotions fortes. 

Et quoi encore? 

Ah oui, retourner « à la normal » le plus rapidement possible, travailler, tenir maison, élever les enfants, être une superwoman, le corps hanté par le souvenir de la peur.


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(1) Le Nazi Marshall Hermann Goerin durant le procès Nuremberg. Tiré du film Hijacking Catastrophe – 9/11, Fear & The Selling of American Empire réalisé par Sut Jhally and Jeremy Earp en 2004. 

(2) Tiré du témoignage d’Alice Paquet dans « Elle a pas l’air d’une fille qui s’est fait violer ».