lundi 24 octobre 2016

Danse-thérapie – notes de parcours

Elles sont une dizaine réunie dans la grande salle de détente d’un organisme montréalais venant en aide aux femmes. Toutes d’âge et de formes différents, au passé et aux motivations tout aussi uniques, ces femmes viennent pour les séances de danse-thérapie. Leur but? L’une souhaite expérimenter le mouvement, l'autre apprendre à habiter son corps, une autre retrouver ce corps perdu durant l’enfance. Rien de moins.

Quant à Jacqueline [pseudonyme], une femme gracieuse d’un certain âge (pour ne pas dire d’un âge certain), personne ne connaît vraiment le motif de sa présence. Une simple sortie durant la semaine? Une activité lui donnant l’opportunité de rencontrer d’autres femmes? Qui sait. Jacqueline ne parle pas, ou du moins très rarement. Mais Jacqueline danse.

Malgré des mouvements écourtés par le passage du temps, Jacqueline danse les yeux fermés, se laissant insoucieusement porter par la musique. Par moments, elle semble même avoir une conversation avec quelqu’un, - ou est-ce avec elle-même? Elle apparaît chaque fois si différente, comme si elle avait quitté cette salle grisâtre et maintenant suffocante pour basculer dans une autre tranche de l'espace-temps. Son corps est impliqué, ses gestes fluides. 

Les semaines passent, et à chaque séance, Jacqueline danse passionnément, s'investit corps et âme dans la musique, et repart en silence. Ce n’est qu’après plusieurs rencontres que Jacqueline se confie au groupe. Elle souffre d’arthrite. La douleur est pour elle une visiteuse quotidienne. « Mais quand je danse, nous avoue-t-elle souriante, je ne souffre plus. Quand je danse, je n’ai plus mal ».

C’est pour ça qu’elle est là. Nous aussi, disons. 

Manon, elle, a les bras rigides collés le long de son corps. Ses épaules sont tendues, légèrement relevées, les aisselles scellant ses bras à son thorax. La tension est palpable. La peur d’être approchée, d’être touchée, se dégage incontestablement de sa posture. 

Manon a connu l’inceste. Elle ne peut pas « se laisser aller », dit-t-elle. Elle pleure tant l’idée l’effraie. « Mon corps ne m’appartenait plus », lance-t-elle douloureusement au groupe. « Honore tes résistances », lui envoie spontanément une autre participante pour la soutenir. 

Honorer ses résistances. Aller là où l’on peut, doucement, à petites doses, à petits pas. Faire confiance à l'élan spontané tout comme à ce figement qui retient. Faire confiance au processus et au corps, ce puissant instrument d’expression. Il sait ce qu’il a à dire. 

Refuser de danser est aussi une forme d’expression. Un choix le sous-tend. C’est l’avantage d’être une adulte maintenant, la possibilité de refuser, de s’asseoir quand on nous invite à danser, bref, de ne plus subir quoi que ce soit. Ne pas se faire violence. 

Manon a le droit de dire non. 

C’est aussi ça la danse-thérapie, un geste pour soi, un mouvement vers soi.