Elles
sont une dizaine réunie dans la grande salle de détente d’un organisme montréalais
venant en aide aux femmes. Toutes d’âge et de formes différents, au passé et
aux motivations tout aussi uniques, ces femmes viennent pour les séances de
danse-thérapie. Leur but? L’une souhaite expérimenter le mouvement,
l'autre apprendre à habiter son corps, une autre retrouver ce corps perdu durant
l’enfance. Rien de moins.
Quant
à Jacqueline [pseudonyme], une femme
gracieuse d’un certain âge (pour ne pas dire d’un âge certain), personne ne connaît
vraiment le motif de sa présence. Une simple sortie durant la semaine? Une activité
lui donnant l’opportunité de rencontrer d’autres femmes? Qui sait. Jacqueline
ne parle pas, ou du moins très rarement. Mais Jacqueline danse.
Malgré
des mouvements écourtés par le passage du temps, Jacqueline danse les yeux
fermés, se laissant insoucieusement porter par la musique. Par moments, elle semble même avoir une conversation avec quelqu’un,
- ou est-ce avec elle-même? Elle apparaît chaque fois si différente, comme si
elle avait quitté cette salle grisâtre et maintenant suffocante pour basculer dans une autre tranche de l'espace-temps. Son corps est impliqué, ses gestes fluides.
Les
semaines passent, et à chaque séance, Jacqueline danse passionnément, s'investit corps et âme dans la musique, et repart en silence. Ce n’est qu’après plusieurs
rencontres que Jacqueline se confie au groupe. Elle souffre d’arthrite. La
douleur est pour elle une visiteuse quotidienne. « Mais quand je danse,
nous avoue-t-elle souriante, je ne souffre plus. Quand je danse, je n’ai
plus mal ».
C’est pour ça qu’elle est là. Nous aussi, disons.
C’est pour ça qu’elle est là. Nous aussi, disons.
Manon,
elle, a les bras rigides collés le long de son corps. Ses épaules sont tendues,
légèrement relevées, les aisselles scellant ses bras à son thorax. La tension
est palpable. La peur d’être approchée, d’être touchée, se dégage incontestablement
de sa posture.
Manon
a connu l’inceste. Elle ne peut pas « se laisser aller », dit-t-elle.
Elle pleure tant l’idée l’effraie. « Mon corps ne m’appartenait
plus », lance-t-elle douloureusement au groupe. « Honore tes
résistances », lui envoie spontanément une autre participante pour la
soutenir.
Honorer
ses résistances. Aller là où l’on peut, doucement, à petites doses, à petits
pas. Faire confiance à l'élan spontané tout comme à ce figement qui retient.
Faire confiance au processus et au corps, ce puissant instrument d’expression.
Il sait ce qu’il a à dire.
Refuser
de danser est aussi une forme d’expression. Un choix le sous-tend. C’est
l’avantage d’être une adulte maintenant, la possibilité de refuser, de s’asseoir
quand on nous invite à danser, bref, de ne plus subir quoi que ce soit. Ne pas se
faire violence.
Manon
a le droit de dire non.
C’est
aussi ça la danse-thérapie, un geste pour soi, un mouvement vers soi.