Dans une perspective anthropologique du corps humain, l’œil,
pour son sens de la vision, représente l’organe privilégié de la science. Car
« voir, c’est croire ».
L’avènement de la pensée scientifique a engendré une organisation
des phénomènes, et dès l’époque des Lumières, on assiste alors à une classification
du monde et de ses composants. Les différents champs d’études, s’intéressant du
plus petit phénomène (chimie) au plus grand (astronomie), s’appliquent alors
à identifier, à trier, à mesurer, peser, numéroter, quantifier, nommer, bref, à répertorier
le monde et ses éléments afin d’en extirper des formules mathématiques et des
lois claires qui non seulement expliquent leur manifestation, mais surtout, et
mieux encore, en prédisent l’émergence.
La méthode scientifique requiert en effet une démarche
rigoureuse. Elle exige une observation
directe et vérifiable ainsi
qu’une démonstration claire par la tenue d’expériences objectives et
répétables. C’est dans cette optique que des appareils perfectionnant le sens de
la vision, sa performance, son acuité ou sa précision, comme le microscope, le
télescope et les satellites par exemples, ont vu le jour. Ces précieux
instruments technologiques servent à observer des phénomènes qui sont
invisibles à l’œil nu.
Dans la foulée, l’approche scientifique a pour ainsi dire
écarté l’étude de nombreux phénomènes neuro-biologiques jouant pourtant un rôle important pour
l’humain et sa santé. L’impact des émotions sur le corps, le ressenti, les
sensations, et autres propriétés kinesthésiques, sont des
phénomènes psycho-corporels inaccessibles à « l’œil scientifique ». Quoique
invisibles, ils sont pourtant bien réels.
Certes, grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, des
images du « cerveau des émotions » en pleine activité sont maintenant
possibles. Mais, aussi fascinantes soient-elles, ces images ne représentent en
réalité que la pointe de l’iceberg. Une émotion se situe dans le corps. Elle
fait appel aux mémoires notamment, cognitives, corporelles et musculaires, ainsi qu’à de
nombreuses fonctions du corps dans sa globalité. Son émergence déclenche une véritable
expérience émotionnelle qui transcende le cerveau et sa région limbique.
Dans ce contexte, il est vrai, rien n’est plus subjectif
qu’une émotion, et donc difficilement mesurable. Les expériences émotionnelles,
somatiques et artistiques cadrent difficilement à la perspective scientifique.
Mais peut-être qu'un jour la science ouvrira son champ de vision afin d’y inclure
d’autres phénomènes, expériences humaines ou sensations, eux aussi invisibles à l’œil nu.