L’énergie est à la mode. Être vert et
énergétiquement économique, c’est le discours réservé à l’environnement. En ce
qui a trait au corps en revanche, l’être humain est plus que jamais appelé à se dépasser, à se
dépenser, à brûler son énergie, potentiellement jusqu’à
l’épuisement.
Époque du multifonctionnel et du multitâche, pour tenir le
rythme et demeurer dynamique, performant, productif et compétitif (ouf), forcément, il faut avoir de l’énergie. À ce
propos, notons que les boissons énergisantes pullulent sur le marché, contenant
des doses excessives de caféine et d’ingrédients stimulants.
Mais similairement au sucre et à la caféine, il est également
possible de carburer à l’adrénaline et développer une dépendance au « rush » (1) et à l’état que celui-ci procure.
Hormone (ou neurohormone) bien connue, l’adrénaline est une
substance sécrétée par le corps en réponse à une menace apparente ou stress
intense. Régi par le système nerveux sympathique, le « système d’alarme
interne » déclenche les réactions automatiques de défense et de protection
comme celles du combat et de la fuite. Par le fait même, une réserve
énergétique est alors libérée, acheminée vers les muscles notamment, munissant ainsi l’individu
de toute l’énergie nécessaire pour faire face à la demande et réagir
promptement.
Du coup, en raison de la forte et subite mobilisation
physiologique ressentie, l’adrénaline, aussi appelée épinéphrine, induit un sentiment
de force et de puissance intérieure. Soulevée par ce brusque regain d’énergie, la
personne est alors habitée d’une
sensation de « capacités
augmentées », une impression de pouvoir
relever tous les défis.
Il est donc facile à la longue de prendre goût, et même un
certain plaisir, à cet état interne de haute alerte, d’autant plus qu’il s’agit d’une substance « propre », naturelle et ô combien accessible.
Toujours pressé, constamment « dans le jus » et la
hâte excessive, l'état de corps devient une puissante force motrice et, tel un réflexe pavlovien, une réaction psycho-corporelle addictive peut alors se développer.
Or, sous l’apparence d’une « haute performance »
se produit toutefois un phénomène spatio-temporel qui mérite d’être souligné.
En effet, l’état d’empressement ou d’urgence se traduit
essentiellement par une attitude intérieure de précipitation, définie par Laban comme un « combat exagéré
contre le temps » (2). Entremêlé à un effort musculaire « soudain »,
l’état de précipitation s’accompagne d’une « sensation motrice de brève
période de temps, une impression d’éphémère » (2). Autrement dit, le temps
revêt un caractère fugitif.
Contrairement à l’état de choc qui confère une impression
d’arrêt du temps durant lequel l’événement semble se dérouler en « images
arrêtées » (voir Choc et état second),
l’état de précipitation, à l’inverse, en plus de réduire la vision
périphérique, procure une sensation de brièveté du temps. De là
émerge ce sentiment que le temps s’enfuit, qu’il nous échappe constamment, et
puis finalement, qu’il nous faut courir après le temps.
Or, il se trouve que ralentir le pas accroît l’espace-temps.
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(1) Le mot « rush » désigne à la fois un « effort ultime à l’approche d’un
but » et la libération soudaine de cette hormone de stress, communément
appelé « rush
d’adrénaline ».
(2) Laban, R. (1994). La maîtrise du mouvement (4è éd.).
France: Actes sud.