Jusqu’à tout récemment
dans l’histoire des sciences, les émotions avaient plutôt mauvaise réputation, un sujet tabou ou même
sans intérêt d’un point de vue scientifique, du moins jusqu’à ce que des
« hommes de science » s’intéressent à leur raison d’être.
L’émergence de la
pensée cartésienne au 17ième siècle et, par le fait même, l’influence
de l’Église, portée elle aussi par des hommes, ont eu un impact déterminant sur
la recherche, opposant dès lors le corps à l’esprit et la raison aux émotions. Considérées
d’emblée « domaine des femmes », les émotions n’avaient nullement leur
place dans le milieu scientifique (pas plus que les femmes d’ailleurs) qui
relève de la pensée logique et rationnelle imputée à l’homme.
Similairement aux
pulsions du corps qui « emportent » l’esprit au détriment de la
raison (voir La chaleur corporelle), les émotions, ces « passions
de l’âme », ont longtemps été considérées
problématiques, voire dangereuses, car source de pathologies les plus infâmes. C’est
le cas tout particulièrement de la colère, marquée au fer rouge de l’irrationalité
et péché capital par surcroît.
Conséquemment, la
pensée scientifique a tenu à l’écart tout un champ d’intérêt, pourtant fondamental
à l’être humain, jusqu’à l’arrivée de la psychanalyse au début du 20ième
siècle avec, entre autres, les phénomènes de conversion et l’hystérie, maladie affectant
les femmes évidemment (voir aussi La danse, la folie et les femmes).
Ce n’est que dans
les années 50 que les études sur le stress tendent à démontrer l’importance et
surtout le rôle des émotions alors que Hans Selye, père-fondateur du concept, observe
que la plus grande source de stress chez l’humain demeurent les émotions. Si le
stress affecte l’homme, sa santé et sa performance, et ce dans toutes les
sphères de sa vie, il y a donc matière à recherche. Le stress devient dès lors le
sujet de l’heure.
Puis surgit, dans
les années 80, la notion d’intelligence émotionnelle,
élaborée et popularisée par des hommes - soulignons ici l’utilisation du terme
« intelligence » faisant référence à la raison, et rassurant par le
fait même le milieu académique. D’ailleurs, on parle également d’intelligence corporelle plutôt que de
sensibilité (voir L’hypersensibilité), une notion développée par
Howard Gardner, entre autres, avec la théorie des intelligences multiples parue
à la même époque. Le milieu scientifique privilégiant le déploiement de facultés,
et donc de concepts, mesurables, on parle même de quotient émotionnel.
Parallèlement, l’essor
des technologies permettant de visualiser le cerveau propulse au début du 21ième
siècle les recherches portant sur le « cerveau des émotions » - à
nouveau, faut-il mentionner le lien direct à la rationalité grâce à l’organe de
prédilection de l’homme, après le pénis bien entendu, le cerveau.
Bref, un sujet autrefois
considéré typiquement « féminin » et « problématique » devient
du coup, et à l’inverse, le sujet de l’heure, le « cerveau des
émotions » étant aujourd’hui le nouveau créneau à la mode, une matière scientifique
« branchée » dans le domaine des sciences cognitives.
Or, comme cela a
toujours été, les émotions se manifestent dans l’espace du corps. La pensée dualiste étant toujours bien présente, on continue
de fragmenter l’organisme humain, de séparer le corps de la raison et la tête du
« reste de corps » (voir La tête vs « le reste du corps »), sachant pourtant – c’est un homme qui l’a confirmé (1) - que
les émotions sont fondamentales au raisonnement (voir aussi Reprendre du poil de la bête).
Mais là encore,
comme c’est souvent le cas dans les « affaires de femmes », il a
fallu que des hommes y voient un intérêt, que l’on masculinise les émotions en somme, pour qu’elles deviennent un
sujet d’étude crédible, logique et raisonnable.
--------------
(1) Damasio, A.
(2008). L’erreur de Descartes – la raison des émotions. Paris: Odile Jacob.